Plus connu pour ses frasques à l’Assemblée Nationale que pour ses idées politiques, Jean Lassalle fut malgré sa drôle de réputation un sérieux candidat aux dernières élections présidentielles. Pierre Carles et Philippe Lespinasse, réalisateurs et journalistes estampillés “de gauche” ont vu en lui l’âme d’un chef d’état, et, pour l’aider à booster sa campagne, acceptent d’en devenir les chefs communicants et de lui consacrer un film : “le premier film sur un candidat à sortir pendant sa campagne” proclame fièrement l’intéressé. Malheureusement, les choses ne se dérouleront pas tout à fait comme prévu. Un berger (et deux perchés) à l’Elysée ? revient sur le parcours chaotique d’une étonnante ascension politique à laquelle personne ne croyait mais aussi sur la réalisation d’un documentaire, lorsque son sujet est quelque peu imprévisible.

Jean Lassalle naît et grandit à Lourdos-Ichère, une commune d’à peine 130 habitants dans la vallée d’Aspe. Il en devient maire en 1977 alors qu’il n’a encore que 21 ans. Ex-partisan du Modem, il se revendique désormais comme « ni de gauche ni de droite ». Sa profession d’agriculteur ne l’empêche pas de se hisser plus tard jusqu’aux bancs de l’Assemblée Nationale qu’il occupe encore à ce jour. Avec son oreillette Bluetooth dans l’oreille, il allie facilement déterrage de carottes et conversations politiques, même si pour sa femme Pascale, les absences répétées de son mari sont source d’angoisse : qui va superviser la prochaine transhumance si ce dernier pose ses valises à l’Elysée ? Pierre Carles et Philippe Lespinasse voient évidemment dans cette double alliance professionnelle un grand potentiel comique et font de Lassalle un personnage clownesque, un grand bonhomme au franc-parler mi-drôle mi-gênant. Mais l’intelligence du berger béarnais l’empêche de se faire totalement instrumentaliser par les deux comparses au profit d’une comédie politique. Même si on peut soupçonner les deux réalisateurs d’avoir volontairement surestimé les chances de réussite de Lassalle pour trouver sujet à leur documentaire, leurs arguments sont louables : sous ses airs de Français de souche, d’authentique paysan, Jean Lassalle est, comme son « adversaire » Philippe Poutou, une figure très à l’écoute des classes populaires et constitue ainsi un sérieux rival au Front National. Car à l’inverse du parti extrémiste, il véhicule des idées véritablement humanistes, sans mettre les principaux problèmes du pays sur le dos de l’immigration. La première heure du film fait considérablement gonfler le potentiel de sympathie du candidat, évaporé dans l’effervescence de l’année 2017.

Au mois de janvier, les choses dérapent. Sans en informer ses désormais conseillers Carles et Lespinasse, Jean Lassalle de rend en Syrie pour rencontrer Bachar-el-Assad. Les images sont surréalistes : le député béarnais après une grande conversation avec le président syrien, annonce avec assurance que celui-ci n’aurait jamais bombardé ses civils. Plus tard, sur le plateau d’On est pas couché, il confirme avoir confiance en les déclarations du chef d’état accusé de crimes de guerre. Pour Carles, Lespinasse, et tous les autres qui regardent médusés l’émission, c’est un suicide politique en direct. Pour rattraper le coup, les conseillers suggèrent à Lassalle une lettre d’excuses, ou du moins d’explications. Le refus est net, Carles et Lespinasse s’éloignent et diffèrent la sortie de leur film.

Un berger et deux perchés à l’Elysée ? rappelle le ton de la satire sociale Merci Patron, sauf qu’ici le film ne s’éloigne que rarement de son sujet pour mettre en avant ses auteurs, à la différence de François Ruffin dans son documentaire. C’est là l’intérêt du film de Carles et Lespinasse, qui portent une vraie sympathie à leur protagoniste, sans chercher à l’instrumentaliser au profit d’une franche rigolade. Sans doute aussi n’en ont-ils pas exprimé le besoin car le berger ne cesse de donner matière à la comédie, en débouchant une bouteille de rouge à l’arrière d’un taxi ou en se jetant dans la foule lors d’une fête populaire. Une immersion passionnante et sans filtre dans les coulisses d’une détonante campagne politique.

S. D.