Fantôme d’amour, à l'instar du magnifique Les Âmes perdues (lire ma chronique), est une réalisation à part dans la filmographie de l’immense Dino Risi, l’une des figures emblématiques de la comédie italienne. S’éloignant du genre comique qui l'avait consacré, il signe avec ces deux films des œuvres dramatiques flirtant ouvertement avec le fantastique. Ce sont deux créations qui accordent une place essentielle à l'inconscient, ce qui n’est pas surprenant étant donné que le maestro italien était destiné à devenir psychiatre avant de choisir de consacrer sa vie au 7ème art.

On retrouve au générique de Fantôme d’amour et des Âmes perdues le scénariste Bernardino Zapponi. Loin d’être inconnu pour quiconque s'intéresse au cinéma transalpin, celui-ci a signé deux œuvres essentielles du genre dans son pays : Les Frissons de l'angoisse, le chef-d’œuvre de Dario Argento, ainsi que le court métrage Toby Dammit, réalisé par Fellini pour le film à sketches Histoires extraordinaires. Ce dernier demeure à ce jour l’une des meilleures œuvres fantastiques jamais tournées.

Fantôme d’amour fut mal accueilli à l'époque, le public et la critique estimant que le titre était trop explicite. Est-ce que Fantôme d’amour se résume alors à une simple histoire d’outre-tombe, une sorte de « ghost » transalpin ? Ce serait mal connaître le réalisateur et son scénariste, qui nous offrent un film riche où le fantastique occupe le temps de l’incertitude cher à Todorov. Récit d’une folie ordinaire, œuvre peuplée de revenants, le long-métrage ne répond jamais vraiment à la question. Risi préfère plutôt se moquer du caractère surnaturel de l’intrigue, vu que le seul personnage comique de ce mélodrame est le prêtre qui croit à l’au-delà.

En recourant à la focalisation interne, notamment par le biais de la voix off, Fantôme d’amour adopte le point de vue de son personnage principal incarné par Mastroianni. Toutes les interprétations sont donc possibles : ce long-métrage peut être vu comme la chronique d’un amour impossible entre un fantôme et un vivant, ou être perçu comme le portrait d’un homme prisonnier de son existence, qui découvre horrifié un matin l’amour de sa vie passée, le visage rongé et tuméfié. Une image insupportable qui lui fait prendre conscience de l’inutilité de son existence, constat auquel il n’arrivera jamais à faire face.

Avec ses meurtres dignes du giallo et l’apparition fantomatique de Romy Schneider en dame du lac, Fantôme d’amour est un film envoûtant qui nécessite un engagement du spectateur. En effet, si celui-ci est prêt à devenir acteur et s’efforce de démêler les différents niveaux de lecture, il découvre alors une œuvre d’une richesse incroyable, peuplée de visions magnifiques, que l’on doit au grand chef opérateur Tonino Delli Colli, connu pour ses travaux avec Leone ou Le nom de la rose. Avec Risi, il crée des tableaux mortifères envahis par le brouillard, où les lumières de la ville deviennent les derniers repères dans un monde qui nous échappe.

Enfin, le génial directeur d'acteur Risi trouve ici deux comédiens dévoués à son œuvre : Romy Schneider et Marcello Mastroianni. Si dans les années 80, Coluche a eu tendance à vampiriser son cinéma, l’acteur prenant le pas sur le personnage qu’il est censé incarner, il est clair que dans Fantôme d’amour, nous avons deux artistes qui n'hésitent pas à s'enlaidir, à mettre à nu leurs moindres émotions pour servir le film.

Finalement, celui qui se destinait à devenir psychiatre n'a eu de cesse, dans ses films, d'analyser nos sociétés et les hommes qui œuvrent en leur sein. Je vous invite tout particulièrement à découvrir les deux œuvres de Dino Risi flirtant avec le fantastique : Fantôme d’amour et Les âmes perdues, où il met en scène la fragilité de l'esprit humain.

Fantôme d'amour est un grand film. Oui, un de plus, ai-je envie de dire, que l'on doit au maître italien. À découvrir absolument en salles, grâce au distributeur Les Acacias, qui propose également de revoir Cher papa, comédie noire de Risi traitant des relations filiales, à partir du 23 août !"

Mad Will