Sans être un joyau du cinéma italien, Via Margutta n’en est pas moins un film intéressant et agréable à découvrir. En effet, si les grands maitres du cinéma italien qui ont été retenus par l’Histoire du cinéma sont souvent ceux du courant néoréaliste, la cinéphilie adoube à présent de très grands réalisateurs comiques comme Dino Risi à qui la cinémathèque consacre actuellement une rétrospective. Parmi ces cinéastes spécialisés dans la comédie certains sont restés longtemps  dans l’ombre alors qu’ils ont véritablement signé une œuvre où l’on retrouve des longs-métrages qui méritent d’être vus. Parmi ces films longtemps oubliés, on retrouve Via Margutta réalisé en 1960 par Mario Camerini, cinéaste dont la carrière a commencé en 1923 avec un documentaire sur le cirque Jolly et s’est achevée en 1972, après cinquante films avec un volet de Dom Camillo.

Contrairement à ce que nous laisserait croire le sous-titre, La rue des amours faciles, Via Margutta est loin d’être une comédie légère. La via Margutta est une rue du centre de Rome où à cette époque logeait un grand nombre d’artistes. Dans son long métrage, Mario Camerini en propose une vision caustique et quelque peu désabusée.  Le réalisateur traite de l’art, de l’amour et de l’argent, dans l’ordre, et surtout dans un grand désordre. Ici Camerini nous offre une vision très critique, voire pessimiste d’une jeunesse italienne en quête d’un absolu de plus en plus lointain. En effet, les conceptions des protagonistes se verront malmenées et beaucoup devront reconsidérer leurs idéaux.

Tout en assurant la captation de l’effervescence artistique et de la jeunesse par le biais d’une narration le plus souvent chorale, le réalisateur s’attarde sur un couple Donata (Antonella Lualdi) et Stefano (Gérard Blain) où l’homme en quête du succès est torturé par ses échecs alors que son amoureuse est  toujours prête à se sacrifier pour son amant artiste.

Camerini s’intéresse avant tout dans son long-métrage aux personnages féminins, donnant à son scénario une teinte de féminisme. D’ailleurs le titre d’une de ses œuvres Les Hommes, quels mufles ! indique que le sujet préoccupait déjà le cinéaste en 1932. Dans Via Margutta réalisé vingt-huit ans plus tard, les hommes sont orgueilleux et immatures alors que les femmes semblent avoir, en ce qui concerne la vie quotidienne, beaucoup plus les pieds sur terre. Cela ne les empêche pas d’être naïves et facilement séduites par de beaux parleurs ou des colifichets. Mais elles semblent garder une longueur d’avance. En effet, quand l’homme réussit c’est surtout grâce aux femmes. Entre le gigolo qui se promène de ville en ville en voiture de luxe et celui qui donne ses œuvres à signer à une ravissante « artiste » pour booster ses ventes, les possibilités de tromperies sont nombreuses. À travers sa critique de la société et de son  machisme, Camerini  nous indique ici que le paraître et les faux semblants sont l’apanage de l’espèce humaine.

Ce film drôle et surprenant a surement dû pâtir du succès de La dolce vita de Federico Fellini sorti la même année. Il convient alors aujourd’hui de le réhabiliter, en allant le visionner en version restaurée sur grand écran.

Laurent Schérer