Grâce au distributeur Les Acacias, c'est un véritable plaisir de pouvoir retrouver Jean-Pierre Mocky sur les écrans avec une nouvelle série de films du maître qui sera diffusée dans nos salles à partir du 13 septembre. Mad Will vous propose de revenir sur Snobs ! avec Francis Blanche, Véronique Nordey, et Gérard Hoffmann.

Si Mocky avait commencé dans un style proche de la Nouvelle Vague avec ses deux premiers opus, son troisième film, Snobs !, constitue ses premiers pas dans un genre qui allait devenir l'une de ses marques de fabrique : la comédie. Lorsqu'il tourne Snobs !, son précédent long-métrage Un couple n'avait pas trouvé son public, même si Les Cahiers du Cinéma lui avaient offert la une. Il décide avec sa troisième réalisation de s'aventurer dans un cinéma plus populaire. Cependant, n'attendez pas de Mocky qu'il fasse de la gentille comédie à papa ! Snobs ! rencontrera en effet des problèmes avec la censure, ce qui peut expliquer le peu d’engouement pour ce film : seulement 50 000 spectateurs, un résultat très éloigné du million obtenu avec Les Dragueurs.

Tout Mocky est déjà présent dans ce film. Son goût pour la satire lui permet de tirer à boulets rouges sur la société. Mocky emploie le terme "snobs" pour désigner des personnes qui jouent un rôle différent de leur vrai caractère pour paraître en société. Ainsi, l'Église, les grands bourgeois, les patrons, les fonctionnaires, les militaires, tout le monde en prend pour son grade, et c'est tant mieux. En utilisant un humour parfois absurde, comme la vision de ces personnages qui ne semblent vivre que dans leur baignoire ou à un religieux jouant de l’orgue en enfer, le cinéaste flirte avec le surréalisme, rappelant les films tournés par Buñuel en France.

Au regard de ses dernières productions sans le sou, tournées trop rapidement, on oublie  souvent l'homme d'images qu'était Mocky. Quand on revoit ses plus anciens films, on est frappé par la qualité de leur visuel. Snobs ! est à ce titre une vraie réussite. Mocky exploite ici à merveille son décor naturel, la ville de Granville dans la Manche, à travers des images en clair-obscur de toute beauté, que l'on doit à l'expérimenté directeur de la photographie Marcel Weiss (qui fut notamment cadreur pour Bresson sur Les Dames du Bois de Boulogne). À l'instar de La Cité de l'Indicible Peur ou Litan, Mocky avait vraiment l'œil pour trouver des lieux dont l'architecture paraissait impressionnante à l'écran. Entre ses ports de marins, ses hôtels particuliers, ou sa vieille ville à l'ambiance mystérieuse, la cité de Granville est magnifiée à l'écran.

Les acteurs dans Snobs ! sont également remarquables. Il faut dire qu'ils sont tous excellents dans le film, qu'ils viennent du cinéma d'auteur, de la cinématographie d'avant-guerre ou de la comédie de boulevard. Une mention spéciale doit être attribuée à Francis Blanche, que Mocky exploite à merveille. L'acteur est irrésistible dans le registre comique, mais sait aussi se montrer inquiétant par moments. Si les acteurs sont tous remarquables, c'est parce qu'ils peuvent s'appuyer sur un scénario d'une efficacité redoutable. Cette histoire, sans temps morts, centrée sur la lutte entre trois hommes pour gouverner une laiterie, est l'écrin idéal pour permettre à chacun de dérouler sa partition sans empiéter sur son camarade de jeu.

Mocky a souvent été caricaturé en provocateur, en gueulard, en anarchiste détestant tout et tout le monde. Pourtant, dans ses meilleurs films, comme Snobs !, il se définit surtout par sa grande humanité. Il nous offre ainsi l'une de ses plus belles fins. Dans un monde où tout est calculé et les faux-semblants règnent, il suffit d'un plan accompagné par le sourire de sa muse de l'époque, Véronique Nordey, pour comprendre que le cinéaste était tout sauf un nihiliste.

Ce bijou de comédie satirique est peuplé de personnages hauts en couleur, et l'absurde y règne en maître. Je vous le recommande chaudement, surtout si vous n'avez jamais vu de film de Mocky. Ce long-métrage est une excellente porte d'entrée pour ceux qui souhaitent découvrir l'univers du cinéaste. C'est tout simplement un très bon cru !

Mad Will