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Quand on évoque La Course à la mort de l’an 2000 , il me semble indispensable de dire quelques mots sur la société qui a produit le film. En effet, cette réalisation de Paul Bartel est financée par la New World Pictures fondée par Roger Corman, le pape de la série B et Z. Cette firme créée à l’aube des années 70, est à l’image de son fondateur qui s’est fait connaître tout d'abord comme réalisateur d’excellentes adaptations d'Edgar Allan Poe, où il magnifiait les budgets ridicules qui lui étaient alloués grâce aux scénarios ingénieux de Matheson, et aux trouvailles visuelles du directeur artistique Daniel Haller. Passé à la production, il privilégiera la fabrication de séries B tournées très rapidement et pour un budget réduit. Corman est l’un des plus grands dénicheurs de talents de l’histoire d’Hollywood. Il donna en effet sa chance à des cinéastes tels que Martin Scorsese, Ron Howard, Francis Ford Coppola, Joe Dante, Peter Bogdanovich ou bien encore Jonathan Demme et James Cameron. Il lancera également de jeunes acteurs comme William Shatner (le capitaine Kirk), Jack Nicholson ou enfin Charles Bronson. Avec New World Pictures, il a damé le pion aux productions cossues des studios grâce à une inventivité de tous les moments. Il faudra l’avènement des blockbusters au crépuscule des années 70 pour que la firme de Corman soit mise en difficulté, incapable de rivaliser faute de budget avec les megas productions d’Hollywood.

La Course à la mort de l’an 2000 est symptomatique des productions Corman. Au sein de New World Pictures, les cinéastes pouvaient en effet insérer un message libertaire s’ils respectaient les délais de tournage et offraient quelques scènes de violence ou topless. Néanmoins, La Course à la mort de l’an 2000 est un film beaucoup plus drôle que les habituelles productions chez Corman, grâce à la verve satirique de son metteur en scène : Paul Bartel. Cette figure du cinéma indépendant américain a commencé comme tant d’autres avec de petits courts-métrages. Mais déjà, Paul Bartel se différenciait des autres réalisateurs du cinéma de genre en concevant un Truman Show avant l’heure avec son court The Secret Cinema. Bartel signera ensuite son premier long-métrage Private Parts pour la vénérable MGM. L’expérience sera terrible pour le cinéaste en raison de projections tests désastreuses. La MGM détestera le film et finira par le remonter et le distribuer dans des doubles programmes horrifiques pour des salles de seconde zone. Bartel rejoint alors le cinéma indépendant plus prompt à lui accorder une certaine liberté par le biais de la firme New World Pictures de Roger Corman, où il va aussi bien faire l’acteur que le technicien. Son poste sur La Course à la mort de l’an 2000 , il le doit en effet aux scènes d’actions qu’il a supervisées en tant que réalisateur de seconde équipe et qui ont convaincu Corman de lui laisser sa chance.

Si vous êtes anglophone, je vous laisse découvrir son court-métrage The Secret Cinema ci-dessous en version originale.

 

 

La Course à la mort de l’an 2000 sera un gros succès qui conduira son producteur à commander à son réalisateur un autre film de bagnoles intitulé Canonball (qui n’a rien à voir avec la saga du même nom avec Burt Reynolds). Le tournage de La Course à la mort de l’an 2000 n'a cependant pas été une partie de plaisir. En effet, Bartel a été obligé de parlementer avec un Roger Corman qui ne comprenait rien à son humour et souhaitait toujours plus de scènes sanglantes. Continuant à faire l’acteur entre autres pour son pote Joe Dante, Bartel prendra petit à petit son indépendance par rapport à New World Pictures qui le limite au cinéma d’exploitation. Il va donc récolter des fonds pour produire en toute liberté Eating Raoul, peut-être son film le plus célébré outre-Atlantique. Comédie nonsensique où il tire à boulets rouges sur l’Amérique reaganienne, il met ici en scène un couple de bobos prêt à tout pour construire le restaurant de leurs rêves. Pour y parvenir, nos tourtereaux ont un plan : inviter des échangistes dans leur appartement et les trucider pour récupérer leur argent. Ce bijou de la comédie noire témoigne de l’esprit d’un réalisateur brillant et frondeur, homosexuel revendiqué dans un Hollywood où l’on cachait ses orientations sexuelles quand elles sortaient de la norme hétérosexuelle imposée. Le reste de sa carrière sera moins concluant que ce soit un Lust in the Dust sous l'influence de John Waters ou Scenes from the Class Struggle in Beverly Hills où il essaye de retrouver la verve d’Eating Raoul sans y parvenir. Une carrière en dents de scie pour un cinéaste original qui aura essayé de dénoncer une certaine Amérique conservatrice.

Que raconte La Course à la mort de l’an 2000 :

Régulièrement, le gouvernement américain organise une grande course nationale suivie par des millions de personnes. Quelques bolides s’élancent pour traverser le pays avec comme but de marquer des points en écrasant des gens. Révolté, un groupe de révolutionnaires fait tout pour saboter la compétition…

La Course à la mort de l’an 2000 a été réalisée avec un budget d’à peine 350 000 dollars qui fut essentiellement dépensé dans la customisation des voitures. À ce titre, il faut savoir que Corman avait voulu jouer au pingre en n’installant pas de barres de sécurité sur les véhicules afin de gagner quelques dollars. Quand les cascadeurs découvrirent cette entorse à la sécurité la plus élémentaire, ils refusèrent de travailler. Corman dut alors engranger des frais supplémentaires pour équiper les véhicules a posteriori. Pour le casting, le producteur engage un David Carradine qui essaye de relancer sa carrière après la série Kung Fu. Enfin, il recrute un Sylvester Stallone totalement inconnu qui multipliait alors les castings sans succès. Deux acteurs qui assureront une pérennité à ce projet en salles puis en vidéo, surtout à la sortie du premier Rocky .

Il faut considérer La Course à la mort de l’an 2000 comme une farce. Le président des USA est ainsi montré comme un évangéliste allumé qui dirige en sous-main des médias peuplés de journalistes incompétents vils et profondément idiots. Quant aux spectateurs de la course, ce sont des beaufs qui sont capables de se faire tuer sur la route pour acclamer leurs nouveaux gladiateurs, quand ils ne font pas le salut nazi pour célébrer la pilote se faisant nommer Matilda Attila. Même la résistance qui veut empêcher les courses au nom de la démocratie et la liberté est un réservoir d’incapables qui ne se mettent jamais d’accord et provoqueront plus de catastrophes que le mal qu’ils veulent endiguer.

La Course à la mort de l’an 2000 est une sorte de transposition de l’esprit irrévérencieux de la fameuse revue Hara-Kiri à l’écran. On aura donc le droit à notre quota de jeunes femmes dénudées filmées par un réalisateur qui pousse le bouchon très loin question humour noir. On se souvient avec délectation de la séquence de l’EHPAD où des médecins ne savent plus quoi faire des vieux et décident alors de les mettre sur la route. L’établissement hospitalier espère ici profiter d’une course où les pilotes obtiennent des points grâce au nombre de badauds renversés. Un système ingénieux digne de la série GTA à venir, où le fait d’écraser un bébé ou une personne âgée vous rapporte le maximum de points. On s’amuse donc beaucoup devant ce long-métrage qui s’apparente à un cartoon. On pense en particulier à la séquence où la résistance agit comme dans Bip Bip et Coyote et installe un faux décor peint pour envoyer Matilda Attila dans le ravin. De la même manière, les costumes d’opérettes de nos pilotes ainsi que le montage extrêmement dynamique renvoient aux oeuvres animées de Chuck Jones (Bugs Bunny, Bip Bip et Coyote…). Pour créer ces images colorées dignes d’un dessin animé où le sang ressemble à de la peinture vermillon, Paul Bartel est ici secondé par le chef opérateur Tak Fujimoto connu pour ses collaborations avec Terrence Malick ou Jonathan Demme.

La Course à la mort de l’an 2000 est un spectacle généreux et irrévérencieux où l’on ne s’ennuie pas une seconde. Un film mené pied au plancher par son réalisateur qui nous offre un joyau de la série B. Miroir déformant d’une Amérique du chacun pour-soi où l’on jure sur la bible pour prêter serment, La Course à la mort de l’an 2000 est distrayant et vindicatif. À voir absolument !

Mad Will