À l'occasion de la sortie de Bâtiment 5, le nouveau film de Ladj Ly, nous vous invitons à (re)voir son précédent Les misérables, film multiprimé qui fut de surcroit un grand succès public. N'hésitez pas, si vous ne l'avez pas encore vu, ou si vous désirez revoir ce drame au cœur de l'actualité sociale, et qui à nos yeux est l'un des meilleurs films de l'année 2019.

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La critique :

Paris, 15 juillet 2018, Les Misérables s’ouvre sur les célèbres scènes de liesse qui, après la victoire des Bleus au football, unissaient aussi bien les gamins des banlieues que les hautes sphères politiques. Sur le perron de l'Élysée le lendemain, le décalage se creusait à nouveau, Emmanuel Macron s’éclipsait discrètement tandis que Paul Pogba faisait son show. La plaisanterie est également de courte durée dans le film de Ladj Ly, les manifestants euphoriques laissant vite leurs places au vif du sujet, les déboires de la Brigade Anti Criminalité de Montfermeil en Seine-Saint-Denis. Trois hommes forment les «Bacqueux », Chris, le sale type, raciste, misogyne, qui profite de son pouvoir pour intimider les gosses du quartier, Gwada le brave gars qui a « trahi » les siens en devenant flic, et Stéphane, la toute dernière recrue. Arrivé de Cherbourg, Stéphane est le provincial, surnommé « Pento » par Chris à cause de son cheveu luisant. Son entrée à la BAC est le point de départ du film, sa découverte de Montfermeil est la nôtre.

Les premières quarante minutes du récit sont un état des lieux de la cité, un portrait ultra dynamique voire ludique de la vie de quartier avec ses différents personnages : Le Maire, au maillot du PSG floqué « Le Maire 93 ». On comprend alors qu’il ne s’agit pas de l’élu sorti des urnes mais d’un genre de médiateur qui essaye d’arranger les conflits entre les communautés, de mèche avec à la fois les institutions (dont la BAC) et les bandits. Son rival est Salah, l’ancien malfrat devenu grand sage, qui prêche sa bonne foi tout en vendant des Kebabs. A ces deux figures de grands rois s’opposent les bouffons : les gamins qui enchaînent les infractions ou les Gitans qui menacent de tout faire sauter si on ne leur rend pas Johnny leur lionceau bien aimé. Malgré les insultes et embrouilles la banlieue de Montfermeil semble avoir trouvé un équilibre dans ses rapports de force, les flics et les mafieux s’arrangeant pour éviter les débordements. Lorsque Gwada commet une terrible bavure, filmée à son insu au drone par un des jeunes, le semblant de confiance qui régnait jusque-là est totalement rompu, la guerre, sanglante, est déclarée.

Les Misérables est un aboutissement pour son réalisateur, dont le travail sur Montfermeil remonte aux années 2000, lorsqu’il formait le collectif Kourtrajmé avec Kim Chapiron et Romain Gavras. Sa banlieue natale était alors déjà le décor de ses premières productions, notamment son documentaire 365 jours à Clichy-Montfermeil, produit en 2007, soit deux ans après les émeutes provoquées par la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré qui impliquait deux agents de police. En choisissant la fiction, Ladj Ly élargit son public. Il remporte le prix du Jury au dernier festival de Cannes et marque un grand coup. Les violences policières ne sont plus le titre d’un article à demi lu mais le centre d’une intrigue, il faut le dire, très divertissante. Le divertissement ne détériore pas la gravité du sujet ni l’enjeu politique du film. Le divertissement, puisqu’il est extrêmement bien mené, captive et marque. Personne n’est froissé : les policiers ne sont ni tout à fait des monstres, ni tout à fait des héros, de même pour leurs ennemis. La bavure dramatique n’est pas que le fait d’un homme. Le coupable est le grand absent de l’histoire : le politique, le vrai, pas celui qui se proclame maire par un nom sur un maillot de foot. Le maire élu de Montfermeil n’apparaît pas une seule fois, ni tout autre figure extérieure. Il règne sur les Bosquets un horrible sentiment d’abandon, même lorsque les trois Bacqueux appellent « la centrale » pour du renfort.

Le personnage d’Issa, le Gavroche local, le gamin violenté, est l’incarnation des conséquences de ce délaissement. Le film raconte sa naissance, la création du monstre, physique (défiguré) et moral (désormais en quête de vengeance), comme il raconte la naissance du côté sombre de Gwada, et celle d’un nouvel agent de la Bac, Pento. Le bon, la brute et le truand, le compte y est. L’affrontement final a d’ailleurs tristement tout d’un western : à la fin, il n’en restera qu’un. À la seule différence que Ladj Ly avoue lui-même ignorer la nature du vainqueur, appelant le spectateur à prendre ses responsabilités pour enfin, en connaissance de cause, écrire notre Histoire.

Suzanne Dureau

La bande annonce :

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