Il y a quelques années, les journaux du 20 heures alertaient sur de possibles propriétés cancérigènes de nos poêles à frire. Un risque qui a quitté les consciences plus vite qu'il n'y est entré. Le téflon, ça vous rappelle quelque chose ? Cherchez bien dans votre mémoire. Eh bien ! ce risque sanitaire devrait vous revenir à l'esprit dans les semaines à venir parce qu'il s'affiche sur grand écran dans Dark Waters de Todd Haynes et qu'il y a de quoi avoir quelques sueurs froides.

Dark Waters, c'est l'histoire vraie d'un scandale qui passe en dessous des radars depuis des décennies. L'histoire d'un avocat d'affaires spécialisé dans la défense des industries chimiques, Robert Bilott, qui est un jour interpellé par un paysan dont les vaches meurent par dizaines. Un dossier pas vraiment passionnant pour notre avocat, d'autant qu'il implique la société DuPont, premier employeur de la région et client régulier du cabinet pour lequel travaille Robert. D'abord réticent, il accepte finalement d'examiner la situation et ne peut que constater l'évidence : l'usine DuPont empoisonne les alentours, ses salariés, et potentiellement nous tous. Il se lance alors dans un combat long et solitaire face à un groupe industriel puissant et à l'argent illimité.

Le film de Todd Haynes est un film d'enquête qui retrace ce combat au plus près de la réalité, n'hésitant pas à filmer directement sur les lieux réels de l'action. Mark Ruffalo et Anne Hathaway se sont d'ailleurs beaucoup investis auprès de Bob Bilott et de sa femme Sarah pour incarner leurs personnages en profondeur, comprendre combien ce combat professionnel puis moral les affectait au travers des années. Le résultat est incroyable : le film offre le grand spectacle d'un film d'enquête sans donner dans la surenchère d'un film purement fictionnel. La réalisation reprend les codes des fictions policières mais ici, ce sont surtout les détails, les incongruités et la violence pernicieuse de la réalité des faits qui nous glacent les os et nous tiennent en haleine.

Le film prend le temps d'introduire ses personnages, puis une fois son univers complexe posé, le rythme s'accélère, les péripéties nous captivent et nous tiennent en apnée. Sous nos yeux se déroule l'implacable logique des lobbys, l’insinuation de ceux-ci dans notre quotidien, dans leurs bons aspects comme dans leurs plus détestables. On voit comment la force publique hésite, comment la recherche et la justice peuvent être lentes et comment ces entreprises savent jouer avec les textes de lois pour faire durer les procédures. La fiction est complétement dépassée par la réalité, on ressort sonné, groggy, ayant l'impression d'avoir levé un voile que l’on n’aurait peut-être pas voulu soulever.

En rentrant chez soi, une frénésie nous prend alors, il nous faut savoir à quel point le récit est vrai, comprendre si nous aussi nous nous empoisonnons. La descente ne sera pas aisée, marque des films qui nous impliquent jusqu'en dehors de la salle de cinéma. 

Gwenaël Germain