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Il y a des cinéastes qu’on a envie de défendre et de porter aux nues car ils correspondent à notre vision du cinéma. Dans mon cas personnel,  je citerai deux réalisateurs Robert Wise et Richard Fleischer qui correspondent à ma vision d’un cinéma exigeant et populaire. Ces deux metteurs en scène nous ont ainsi délectés avec bon nombre d'œuvres majeures durant leur très longue carrière, surfant d’un genre à l’autre avec une aisance rare.

Dans le cas de Richard Fleischer, comment ne pas évoquer ses divertissements 4 étoiles comme Les Vikings, Le Voyage fantastique ou Vingt mille lieues sous les mers qui restera  à jamais la meilleure adaptation de l’univers de Jules Verne au cinéma. L’homme aura vraiment excellé dans tous les styles, marquant de son empreinte la science-fiction avec le crépusculaire Soleil vert , le polar avec Terreur Aveugle , le péplum biblique (genre niais par excellence) avec Barabbas , sans oublier le film de guerre avec Tora ! Tora ! Tora ! (coréalisé avec Kinji Fukasaku et Toshio Masuda ). Il réussira également dans le genre si particulier du film à thèse avec le formidable Mandingo qui dénonçait le sud esclavagiste avec une violence qui ferait passer le Amistad de Steven Spielberg pour un aimable conte de Noël.

Richard est le fils de Max Fleischer, l’un des pionniers du dessin animé aux USA et créateur de personnages aussi emblématique que Betty Boop. Son père est à l’origine de l’invention de la rotoscopie, une technique où les animateurs filmaient en live des acteurs pour ensuite redessiner partiellement sur la pellicule afin d’obtenir une animation fluide. (Je vous renvoie à mon article sur Ralph Bakshi où je donnais plus de détails sur le principe).

Richard Fleischer est un très grand technicien qui a su faire évoluer sa mise en scène en adoptant le meilleur des avancées en matière de prise de vue pendant sa très longue carrière (presque 40 ans). Pour se convaincre du génie du bonhomme, il suffit de voir les remakes de ses réalisations comme Dr Dollitle qui n’arrivent jamais à égaler les films originaux en matière de découpage, de direction artistique alors que les studios ont des moyens colossaux et des équipes techniques armées d’ordinateurs surpuissants.

Terreur Aveugle a été tourné en Angleterre avec une équipe technique originaire de la perfide Albion. C’est ainsi qu’on retrouve au scénario, Brian Clemens qui a travaillé pour la Hammer et surtout la télévision en tant que showrunner du feuilleton Chapeau Melon et bottes de cuir à partir de la saison 3. Passionné depuis mon plus jeune âge par les aventures de Steed et la magnifique madame Peel qui aura provoqué en moi mes premiers émois érotiques (même si je n’oublie pas Tara King, Purdey ou Cathy Gale), je voue un petit culte à Clemens qui avait cette capacité rare de proposer des scripts ingénieux et bourrés de rebondissements où son humour pince-sans-rire et typiquement anglais faisait merveille. À ce titre, je vous invite à revoir son feuilleton Angoisse qu’il a écrit pour la BBC et qui est disponible dans notre beau pays (lien). C’est un sommet de la télévision anglaise qui nous propose des histoires policières un peu tordues dans la lignée des nouvelles de Roald Dahl dans ses recueils pour adultes comme Bizarre Bizarre.

Que raconte Terreur Aveugle ?

Suite à une chute de cheval qui a mal tourné, la jeune Sarah perd l’usage de la vue. À sa sortie de l’hôpital, elle retourne habiter chez son oncle et sa tante dans un joli cottage de la campagne anglaise. Un jour que Sarah passe l’après-midi chez son ami Steve, un drame a lieu dans la demeure familiale…

La critique du film :

Terreur Aveugle est une référence en matière de mise en scène où Richard Fleischer fait preuve d’une grande maîtrise qui mériterait d’être analysée à l'université. Pour comprendre le dispositif visuel mis en place par le cinéaste, je vous convie à une discussion avec le maître du cinéma du suspens : Mr Alfred Hitchcock. Dans le Hitchcock/Truffaut paru chez Gallimard, le maitre prend l’exemple d’une séquence de suspens autour d’une bombe et déclare « Nous sommes en train de parler, il y a peut-être une bombe sous cette table et notre conversation est très ordinaire, il ne se passe rien de spécial, et tout d'un coup : boum, explosion. Le public est surpris, mais, avant qu'il ne l'ait été, on lui a montré une scène absolument ordinaire, dénuée d'intérêt. Maintenant, examinons le suspense. La bombe est sous la table et le public le sait, probablement parce qu'il a vu l'anarchiste la déposer. Le public sait que la bombe explosera à une heure et il sait qu'il est une heure moins le quart — il y a une horloge dans le décor ; la même conversation anodine devient tout à coup très intéressante parce que le public participe à la scène. Il a envie de dire aux personnages qui sont sur l'écran : « Vous ne devriez pas raconter des choses si banales, il y a une bombe sous la table et elle va bientôt exploser. Dans le premier cas, on a offert au public quinze secondes de surprise au moment de l'explosion. Dans le deuxième cas, nous lui offrons quinze minutes de suspense"

La force d’un film comme Terreur Aveugle , est de suivre les préceptes ainsi exposés par d’Hitchcock dans l'exemple de la bombe. Le réalisateur privilégie ici les ambiances diurnes pour nous permettre observer les dangers qui s’amoncellent autour de notre héroïne dont la cécité l’empêche d’avoir conscience de son environnement. Ce dispositif crée une réaction forte chez le spectateur qui a envie littéralement de lui crier de faire attention !  On se souvient ainsi de ces éclats de verre répandus sur le sol que notre héroïne frôlera plusieurs fois et sur lesquels elle finira par marcher lors de sa fuite.

Il me semblait donc indispensable pour appréhender une telle oeuvre de revenir aux sources du cinéma de suspens pour comprendre les intentions du réalisateur. Pour autant, Terreur Aveugle ne peut se résumer à la figure tutélaire du maître du suspens. En effet, ce long-métrage est également avant-gardiste et certaines de ses séquences annoncent tout simplement le cinéma de terreur à venir. Ainsi, ce film peut être perçu comme l’ancêtre du slasher connu pour ses tueurs dont souvent une pièce de vêtement suffit pour les caractériser (le masque du Michael Myers dans Halloween ) et qui agissent sans mobile apparent à l'instar du serial Killer de Richard Fleischer dont on discerne seulement les bottes durant la presque totalité du métrage.

Dans le dernier acte de Terreur Aveugle , le réalisateur nous révèle une Mia Farrow qui rampe dans la boue et dont le corps est tuméfié et entaillé. On est ici dans une représentation viscérale du corps meurtri qu’on pourrait associer à Tobe Hooper et son Massacre à la tronçonneuse . Le film passe ainsi avec une grande aisance d'un climat de terreur plutôt intellectualisé à une représentation graphique de la violence proche du cinéma d’horreur des années 70 dans sa dernière partie. Une preuve suplémentaire que le cinéaste ne s’est jamais enfermé dans une école donnée grâce à sa mise en scène en accord avec son temps.

Terreur Aveugle est un grand film porté par une mise en scène virtuose et une interprétation sans faille de Mia Farrow qui en l’espace de trois films (Rosemary's Baby, Terreur Aveugle , Le Cercle infernal ) aura définitivement acquis le fan de genre à sa cause.

Un thriller à voir ou revoir absolument.

Mad Will