Le film en VOD : https://www.netflix.com/title/70250213

Je vous propose aujourd'hui de revenir sur Les Douze Travaux d'Astérix , un classique de l'animation française souvent considéré comme le meilleur long-métrage autour du plus célèbre des Gaulois. Ce dessin animé nous a accompagné durant toute notre enfance surtout pendant les vacances de Noël car il était souvent rediffusé sur M6. Il est clair que c’est toujours un régal de voir et voir le film 40 après sa sortie. À ce titre, le film est disponible dans une très belle copie en DVD chez Citel Vidéo.
Mais avant d'évoquer ce long-métrage, je souhaite revenir sur la genèse de ce film qui a été essentiel dans l'histoire du dessin animé francophone. En effet, si Astérix avait eu le droit à deux adaptations par Belvision au cinéma, Les Douze Travaux d'Astérix est une création du studio Idéfix qui est la première structure créée en France pour produire des longs-métrages animés depuis la fermeture des studios Gémeaux de Paul Grimault dans les années 50. La volonté de fonder Idéfix par les duettistes d’Astérix est liée au fait qu’ils n’avaient pas été pleinement convaincus par le travail du studio belge Belvision aux méthodes d'animation parfois archaïques qui ne pouvaient rivaliser avec les meilleures créations d'outre-Atlantique. Idéfix est un vieux rêve pour Goscinny qui a vécu longtemps aux USA où il fréquenta des acteurs essentiels de la BD américaine comme Harvey Kurtzman, l'un des créateurs du magazine satirique Mad. Le scénariste a été surtout marqué par le cinéma d'outre-Atlantique et le travail de Walt Disney qu'il essaya de rencontrer plusieurs fois sans succès.

De Belvision au studio Idéfix

Les Douze Travaux d'Astérix est le troisième long-métrage adapté des aventures d’Astérix et Oelix. Destiné à la base pour les télévisions, le premier film Astérix le Gaulois a été réalisé par Belvision sans que Goscinny et Uderzo ne soient prévenus. Déçus par le résultat, ils acceptent tout de même que le film soit diffusé sur le petit écran. Cependant, ils demandent l’arrêt et la destruction des négatifs du deuxième film en cours de réalisation par nos amis belges. On ne trouve donc aucune trace du dessin animé sur La serpe d’Or qui était pourtant presque finalisé. Surtout, ils exigent d’être présents pour la prochaine adaptation d'Astérix qu’ils veulent superviser. S’ils obtiennent gain de cause, ils découvriront quelques mois plus tard que Dargaud a diffusé Astérix le Gaulois à la télévision en salles suite à la demande de nombreux exploitants. Pour Astérix et Cléopâtre , le nouveau film de Belvision, Uderzo conçoit un story-board et passe beaucoup de temps dans les studios à surveiller les animateurs et la qualité du dessin. Quant à Goscinny, il signe l’adaptation de l’album homonyme, afin de proposer un vrai scénario de cinéma avec l’aide de son ami Pierre Tchernia.

Même si ce nouvel Astérix est d’une qualité technique bien supérieure au premier film, Uderzo et surtout Goscinny sont déçus du résultat. Faute de pouvoir être tout le temps dans les studios à Bruxelles, le résultat s’avère inégal d’un point de vue visuel et montre les limites du studio Belvision.

Sans dénigrer le travail du studio belge qui fut l’un des rares acteurs du dessin animé en Europe occidentale, il faut bien dire que le travail de Belvision en général n’a pas toujours convaincu les auteurs de BD qu’ils adaptaient. On se souvient ainsi qu’Hergé n’appréciait pas vraiment les adaptations de Tintin faites par le studio comme L'Île Noire ou Le Crabe aux pinces d'or. En effet, ces dessins animés ne respectaient pas les scénarios des albums et se révélaient souvent assez faibles d’un point de vue technique. Quant aux longs-métrages autour du reporter du Petit-Vingtième tel que Tintin et le lac aux requins , le résultat était convenable graphiquement, mais pas du tout concluant question scénario.

Pour comprendre les limites techniques de Belvision, il ne faut jamais oublier que la plupart des cadres artistiques oeuvrant dans la compagnie avaient été formés par les animateurs de la firme américaine Hanna-Barbera (Scooby-Doo) connue pour ses techniques d’animation lowcoast (images statiques, personnages carrés…) qui ne correspondaient pas aux design de la Franco-belge ni aux standards de qualité d’un long-métrage diffusé au cinéma. Surtout, Raymond Leblanc le directeur voulait limiter les risques financiers et obligeait ses équipes à finir le film en un an maximum à une époque où tout se faisait à la main. La pingrerie du créateur du Journal de Tintin a donc limité les ambitions créatives de son studio. Si les équipes techniques comptaient de grands techniciens dont certains rejoindront le studio Idéfix, d’autres animateurs avaient un niveau très faible. Ce dernier point explique ainsi le niveau pas toujours constant des films de la célèbre firme belge.

Des Douze Travaux à la création de l'école des Gobelins

Alors que Belvision connaît des difficultés financières et prépare le long-métrage Les Voyages de Gulliver qui mettra fin aux ambitions artistiques du studio. Goscinny réalise son rêve avec la création du studio Idéfix. Avec Uderzo, ils engagent deux anciens de chez Paul Grimault, Henri Gruel et Pierre Watrin. Des valeurs sûres du secteur qui ont collaboré entre autres à La Bergère et le Ramoneur . Néanmoins, le studio à son lancement connaît des difficultés pour recruter, car il n’y a pas eu de véritable activé dans l’animation française depuis les années 50 et 60 (à l’exception peut-être de Jean Image connu pour ses Munchausen). Même si certains talents de Belvision les rejoignent, le directeur de production Serge Caillet finit par se rendre à la Chambre de commerce et d'industrie de Paris pour solliciter la création d’une section cinéma d'animation pour lui fournir de jeunes artistes. Quelques mois plus tard, un département « Cinéma d'animation » est créé dans le Centre de formation technologique des Gobelins. Grâce aux Douze travaux, naît l’une des prestigieuses d’animation au monde !

La fin du studio Idéfix

Les Douze Travaux d'Astérix réuniront pas loin de 9 millions de spectateurs en Europe, il y aura ensuite la mise en chantier de La Ballade des Dalton par le studio qui fermera néanmoins ses portes 7 mois après la mort de Goscinny. Les raisons de la disparition du Studio Idéfix sont nombreuses. On peut supposer en premier lieu qu’Uderzo ne se voyait pas superviser l’activité d’une structure qui était surtout celle de son ami. De plus, il ne voulait pas éponger à lui seul les dettes de la société.

Le studio Idéfix était à l’image du plus grand scénariste que la BD franco-belge ait connu. Une entreprise humaine où l'on ne licenciait pas les animateurs entre deux longs-métrages alors qu’il n’y avait pas de travail. C’était un studio dirigé par des passionnés pour qui la qualité était primordiale. Ainsi, le temps passé à soigner l’esthétique des films entraînait souvent des dépassements de budget. À titre de comparaison, entre Astérix et Cléopâtre et Les Douze Travaux d'Astérix , on est passé d’une palette de 200 couleurs à 600, le nombre de décors a été multiplié par deux et l’animation a été nettement améliorée. L’argent n’était pas la première préoccupation chez Idéfix. Malheureusement, le manque de liquidité a commencé à se faire sentir assez rapidement surtout que La Ballade des Dalton , le second et dernier long métrage signé par Idéfix, n’a pas été un aussi grand succès que Les Douze Travaux d'Astérix .

La critique du film

La grande force des Douze Travaux d'Astérix est de proposer un scénario original pensé pour le cinéma. Goscinny qui avait déjà écrit Le Viager pour les salles obscures, peut ici concevoir un scénario répondant aux exigences du septième art en matière de récit, de durée et surtout de rythme. Il nous propose pour ce nouvel Astérix, une histoire haletante et pas une version artificiellement gonflée en matière d’actions d’un album de 48 pages.

L’idée originale du film viendrait d’une discussion entre les deux créateurs d’Astérix dans un hôpital où s’était rendu Goscinny. en raison des problèmes de santé de sa femme. Uderzo aurait parlé des douze travaux d’Hercules au détour de la conversation et Goscinny se serait alors retourné en lui déclarant qu’il tenait là le sujet des prochaines aventures de nos fiers Gaulois.

Quand on regarde cet Astérix par rapport à son processeur, le bon technique est immense. L’animation a gagné en finesse, le design des personnages n’est plus aussi carré. Les décors sont extrêmement soignés et l’on sent vraiment la patte graphique d’Uderzo qui outre le story-board, a conçu de nombreux layout (en gros la composition des plans, mise en scène 3d du découpage) pour l’équipe technique. Néanmoins, d’un point de graphique, on pourrait peut-être objecter que le nettoyage de l’animation n’a pas été totalement fait avec des effets de crayonnage toujours visibles. Mais personnellement, à l’instar des Aristochats , je trouve que cela donne une certaine patine à l’ensemble. De plus l'enregistrement des dialogues a été fait avant la réalisation du film. Ainsi les voix enregistrées ont servi de base pour dessiner les personnages du dessin animé, permettant ainsi aux animateurs de se caler sur les intonations, les mouvements de bouche…

Si ce long-métrage est une oeuvre intemporelle qu’on prend toujours à regarder, c’est surtout grâce au génie de Goscinny qui reprend la structure des films à sketches en nous donnant à voir différentes épreuves que doivent réussir nos Gaulois préférés. Un choix casse-gueule de la part du scénariste, car chacune des épreuves doit relancer l’intérêt du spectateur et ne pas ressembler à la précédente. Et il faut bien se l’avouer, c’est une réussite totale tant ses aventures d’Astérix se dévorent avec un plaisir évident et ne faiblissent jamais au niveau du rythme. 

Comme à son habitude, Goscinny se moque ouvertement de ces concitoyens avec la scène de l’ermite qui promeut la lessive Olympe ou bien encore dans cette séquence devenue culte où l’administration est vue comme un cauchemar kafkaïen. Nous avons également le droit aux habituels anachronismes de la série comme avec cette station de métro Alésia ou cette subite apparition d’une Brigitte Bardot nue dans l’Olympe. Le tout est agrémenté de dialogues tordants comme lorsque César déclare à Brutus : « cesse de jouer avec ce couteau. Un jour tu finiras par blesser quelqu’un ».

À l’instar de la potion magique du druide Panoramix, les ingrédients sont tous réunis ici pour faire de ce dessin animé le meilleur long métrage autour d’Astérix. Rajoutez à cela une séquence onirique absolument splendide qui nous plonge dans l’antre d'un monstre et un humour méta très original lorsque le narrateur s’adresse à nous spectateurs, et vous obtenez une oeuvre intemporelle que tout amateur de bandes dessinées franco-belge se doit d‘avoir vu au moins une fois dans sa vie.

Indispensable tout simplement !

Mad Will