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Si j’avais déjà cité C’était demain dans mes tops, il me semblait néanmoins important d'accorder un long article à cette référence du divertissement intelligent à la fois bien écrit et érudit, qui propose une relecture assez passionnante des grands mythes de la littérature populaire. Je voulais également profiter de cette critique pour revenir sur la carrière d’un réalisateur pour lequel j’avais beaucoup d’affection : Nicholas Meyer . Un cinéaste injustement méconnu alors que c’est un excellent romancier, un scénariste très efficace, et un solide réalisateur qui a signé de très bons longs-métrages.

Nicholas Meyer a fait des études de cinéma à l’université de l'Iowa en 1968 avant de devenir attaché de presse pour Paramount Pictures. À l’aube des années 70, il se lance dans une carrière d’écrivain et publie un essai autour du film Love Story . Il continue dans la littérature avec le roman policier L'Honneur perdu du sergent Rollins. C’est cependant avec son pastiche de Sherlock Holmes intitulé La Solution à 7 % qu'il accédera à la notoriété. Ce roman est un succès en librairie qui sera surtout adoubé par les spécialistes de Sherlock Holmes qui seront bluffés par la qualité d’écriture et l’intelligence du récit, pas un mince exploit quand on sait combien les fans du détective de Baker Street deviennent extrêmement conservateurs quand on touche à leur héros préféré. À ce titre, La Solution à 7 % est toujours considérée comme une référence en matière de pastiches de l’oeuvre de Doyle. Meyer devient alors scénariste pour l'adaptation de son livre au cinéma qui sortira en France sous le titre ridicule de Sherlock Holmes attaque l'Orient-Express. En 1979, Meyer passe à la mise en scène avec C’était demain qui remportera le premier prix à Avoriaz et marquera bon nombre de ses spectateurs dont votre honorable serviteur.

Après avoir mis en scène H. G. Wells face à Jack l'Éventreur, il s’attaque dans les années 80 à un monument de la SF en prenant la suite de Robert Wise pour tourner le second Star Trek. Admirablement écrit, son deuxième volet sera tout simplement l’épisode cinématographique préféré des fans des aventures de Capitaine Kirk et Spock. Meyer passera ensuite au petit écran avec [[Film::88438 Le jour d’après]] qui met en scène l’apocalypse nucléaire entre l’URSS et les USA. Vu par cent millions d’Américains, son téléfilm va marquer l’inconscient collectif d’une nation. Pour l’une des toutes premières fois à la télévision, une oeuvre montre l’horreur que représente la guerre nucléaire. À noter que durant cette période, Meyer n’abandonne pas les romans et continuera à écrire des aventures de Sherlock Holmes. À ce titre, je vous invite fortement à découvrir ces histoires autour du plus célèbre limier anglais comme l’excellent L'Horreur du West End.

Meyer se fera ensuite de plus en plus rare au cinéma, mais signera tout de même un passionnant Star Trek 6 qui reste l’un des sommets de la série. On le retrouve également comme scénariste sur l’adaptation du Retour de Martin Guerre appelé Sommersby aux USA et dernièrement comme showrunner sur la série Les Médicis : Maîtres de Florence. Nicholas Meyer n’est peut-être pas le scénariste et réalisateur le plus connu d’Hollywood, mais c’est un artisan particulièrement doué qui a réussi à créer des histoires solides et un univers crédible autour des grands mythes de la culture populaire.

Mais que raconte C'était Demain ?

Le meurtre d'une prostituée lance la police aux trousses de Jack l’Éventreur mais ce dernier parvient à les semer. Non loin de là, le professeur Herbert G. Wells donne une réception pour présenter sa dernière invention: une machine à voyager dans le temps. Le meurtrier, plus connu sous le nom de Stevenson, profite de l'occasion pour s'enfuir à bord de la machine avant que Wells ne se lance à ses trousses.

C’était demain est l’adaptation d’un roman de l’auteur américain Karl Alexander qui a la particularité d’être le rejeton de l’une des plus prestigieuses familles de scénaristes à Hollywood. Nicholas Meyer également scénariste sur le film, signe un long-métrage reposant sur un concept astucieux qui fait de l’écrivain H. G. Wells, un personnage de fiction qui a conçu une machine à remonter dans le temps avant même d’écrire le plus célèbre livre autour des voyages temporels. Le film va donc s’inspirer de la vraie vie de l’écrivain pour enrichir sa fiction en montrant que l’extrême modernité du célèbre écrivain est peut-être liée aux évènements racontés dans le film avec son voyage dans le San Francisco de 1979. Le scénario est vraiment d’une richesse incroyable avec un Meyer qui rend hommage de façon assez subtile aux maîtres de la littérature populaire anglaise comme lorsqu’il fait revêtir la casquette de Holmes par Wells ou donne le nom de Stevenson à Jack l’Éventreur. L'idée de reprendre le patronyme de l’écrivain de Docteur Jekyll est vraiment astucieuse, car elle signifie que derrière l’élégance de David Warner qui joue Jack l'Éventreur, se dissimule un immonde assassin prisonnier de ses vices.

Meyer arrive avec brio à mêler les genres cinématographiques, passant de la science-fiction au thriller tout en proposant des scènes de comédie avec un Wells totalement perdu dans une époque qu’il ne comprend pas. La grande force du film est également de s’appuyer sur une interprétation de haute volée. D’un côté, nous avons un excellent Malcolm McDowell impeccable dans le rôle d’un Wells humaniste et naïf. Face à lui, nous retrouvons le trop sous-estimé et pourtant génial David Warner , qui incarne un tueur élégant et redoutable dont la barbarie semble parfaitement coller aux moeurs des USA de cette fin du 20e siècle. À ce titre, on se rappelle de la célèbre séquence où il explique à Wells que le progrès est une chimère dans un monde moderne où seuls les tueurs comme lui peuvent survivre. Quant à Mary Steenburgen qui joue la jeune banquière qui tombe amoureuse de Wells, elle est touchante et apporte beaucoup de tendresse et d’humour au film.

Meyer signe ici un divertissement haut de gamme, élégant et cultivé, qui n’use jamais d’effets putassiers pour satisfaire son spectateur. Un film de scénariste au sens le plus noble du terme où chaque situation dramatique n'est jamais là par hasard mais sert à faire avancer le récit. Meyer est enfin un excellent technicien dont la mise en scène classique est au service des comédiens. Pas d’esbroufe visuelle ni d’effets spéciaux, il préfère plutôt développer des face-à-face absolument fascinants d'un point de vue philosophique, entre Jack l'Éventreur qui incarne l'homme moderne à la fois nihiliste et égocentrique, et un Wells humaniste.

C'était demain est tout simplement un chef-d'œuvre du cinéma fantastique que je vous invite à découvrir ou redécouvrir.

Mad Will

En bonus, une vidéo de Mad Will datant d'une dizaine d'années où votre journaliste préféré évoquait déjà le film avec sa passion légendaire.