Avant Senses et Asako I et II, le réalisateur japonais Ryûsuke Hamaguchi avait réalisé un très beau film Passion que nous pouvons aujourd'hui découvrir dans les salles françaises.

La critique :

Au vu de ses premières images, Passion interroge. D’où sort cette texture filmique datée qui donne au film l’impression d’être l’œuvre d’un étudiant fauché ? La réponse est dans la question, puisqu’il s’agit en effet de la première réalisation de Ryusuke Hamaguchi, redécouverte par les distributeurs de la Art House galvanisés par le succès de Senses et Asako I & II, et montré en salle dix ans après sa conception. Produit par l’Université des arts de Tokyo à laquelle le cinéaste japonais a étudié, Passion parvient assez vite à faire oublier ses hésitations techniques et révèle les prémices du cinéma d’Hamaguchi.

 

Tout commence lors d’un dîner d’anniversaire au cours duquel Kaho et Tomoya annoncent à leur petit groupe d’amis leur intention de se marier. La nouvelle, peu spectaculaire, est éclipsée par l’intervention spontanée de l’un des convives : “j’attendrais alors que tu divorces pour pouvoir t’épouser” déclare Kenichiro à Kaho. Cette annonce est elle-même vite oubliée, dans des rires et des railleries mais reste suspendue comme une menace qui pèsera sur la bande tout au long du film. Le projet d’une noce, ou plutôt celui de quitter l’adolescence pour se lancer dans une vie d’adulte donne ici un signal d’alerte, comme si le temps soudain se pressait et encourageait l’urgence d’agir. Pour les trois amis, dont un futur marié, l’autre bientôt père, et le dernier célibataire, il devient nécessaire de s’exprimer sur leurs désirs amoureux et amicaux. Ainsi les couples s’échangent, les amants se retrouvent, et les amis s’éloignent.

 

De la même manière que son homologue coréen Hong Sang Soo, Ryusuke Hamaguchi décrit les errances sentimentales à travers de longues scènes de conversations dans l’intimité, à table, dans le bus, où les personnages se révèlent les uns aux autres. Au milieu de ces trois hommes qui parlent beaucoup, se trouve Kaho, timide professeure de mathématiques, frêle jeune fille qui ne vit que pour son futur mari Tomoya. Kaho s'exclut des élucubrations masculines et lorsque son fidèle prétendant Kenichiro lui apprend que tout le monde sauf elle connaît la frivolité de Tomoya, Kaho a la plus belle des réponses, d’une intelligence naïve qui l’éloigne de la souffrance : “moi je ne le sais pas, c’est l’essentiel, non ?”.

 

En l’espace de deux jours et deux nuits, Hamaguchi alors âgé de 29 ans, dresse un portrait générationnel complexe, déjà doté de la même sensibilité que l’on retrouve dans ses œuvres contemporaines, mais avec une approche plus crue et violente du marivaudage. Le film est cruel, frappe un grand coup (aussi au sens littéral) puis dans une dernière scène bouleversante, il laisse enfin apparaître la passion.

S.D.

La bande annonce :