Il y a des œuvres qui vous laissent KO, dont la puissance cinématographique et émotionnelle est telle que vous vous en souviendrez toute votre vie. Je pense ainsi au magnifique Johnny Got His Gun mais aussi à Requiem pour un massacre de Elem Klimov, un film essentiel sur la folie des hommes en temps de guerre.

Cette œuvre puissante dénonce ce monstre intérieur qu'on appelle la barbarie et qui se révèle à chacun de nous dans un conflit armé. Et comme pour toutes les grandes œuvres en avance sur son temps, ce Requiem pour un massacre va avoir beaucoup de mal à voir le jour. Dès la fin des années 70, un script est présenté au comité soviétique en charge du cinéma qui refuse le projet qui s’appelait alors Tuez Hilter. Le film est pourtant soutenu par l’ancien partisan Piotr Macherov devenu l’homme fort de Biélorussie. Après presque 7 années de blocage par le système soviétique, le long-métrage est enfin tourné sous le titre Va et regarde, qui est une référence à l’Apocalypse de Jean.

Le tournage est un cauchemar qui durera 9 mois et emploie des figurants le plus souvent non professionnels qui sont recrutés en Biélorussie et dont les plus âgés ont connu l’horreur décrite dans le film. De vrais obus et de vraies balles sont utilisés afin de renforcer le réalisme. Le film a été une expérience extrêmement dure à vivre pour son équipe. Ainsi, le jeune acteur Aleksei Kravchenko reçoit l’appui d’une cellule psychologie qui utilisera entre autres l’hypnose afin de le soutenir dans un rôle difficile où il a failli laisser la vie plusieurs fois comme dans la scène des marécages.

Pour des raisons que l’on peut supposer politiques, le film n’aura pas le droit à la reconnaissance des grands festivals internationaux. Requiem pour un massacre est cependant devenu une oeuvre culte qui aura marqué à jamais ses spectateurs que ce soient l’écrivain J.G. Ballard qui a connu jeune l’enfer des camps japonais (voir L’empire du soleil de Spielberg sur sa vie) ou la chanteuse Mylène Farmer qui déclarait dans ses interviews que c’était son film de chevet.

Un chef-d’oeuvre que pouvez maintenant découvrir en version restaurée en salles et en DVD grâce à Potemkine.

Que raconte le film :

En 1943, en Biélorussie, en pleine persécution nazie. Florya, un garçon de 13 ans, quitte sa mère et ses deux petites soeurs pour rejoindre les partisans. Dans la forêt, il découvre leur camp, leur gaieté et leur gravité. Le détachement part en expédition, mais Florya reste au camp, chargé des vieillards et des enfants. Il se sent humilié et choqué. Il rencontre alors une jeune fille, Glasha, qui lui parle de la vie et de l'amour. Mais la guerre fait irruption dans le camp, qui est bombardé. Florya devient sourd. Il fuit avec Glasha et l'emmène dans son village. Celui-ci est désert. L'adolescent se met à la recherche de sa mère et de ses soeurs...

La critique

Requiem pour un massacre est le film de guerre, viscéral, traumatisant, bien loin devant Apocalypse Now et autres Sentiers de la gloire plus centrés sur les obsessions esthétiques de leurs auteurs.

Ce film montre la volonté de destruction du peuple biélorusse par les nazis en 1943.

Il ne s’agit même pas de montrer l’absurdité, la dégueulasserie de la guerre ou la perversion de gradés sadiques. Non, le film montre avant tout une froide détermination de destruction systématique d’un peuple par les armes. Nous ne sommes pas face à des exactions, des bavures, des erreurs, mais bien devant une logique planifiée, déterminée, programmée pour nier l’humain. En premier lieu celui qui sera tué, traité comme du bétail, mais aussi celui qui tue, dont le cerveau a été effacé et qui devient une machine incapable de raisonner. Les nazis ont enfermé les juifs et autres déviants à leurs yeux dans des camps d’extermination afin de les tuer. En Biélorussie, ils ne se sont même pas donné cette peine. Ils ont planifié une destruction « sur site », considérant l’ensemble de la population comme inférieure. Inutile de trier, tout est à jeter.

Le film est construit par la vue subjective d’un enfant de 13 ans enrôlé dans la résistance après qu’il a trouvé et récupéré un fusil sur un cadavre de soldat. Le spectateur perdra son innocence à travers ce regard d’enfant qui est confronté à la guerre. Requiem pour un massacre est une œuvre sensorielle qui recourt à la steadycam (caméra portée avec un système de harnais qui permet des prises de vues fluides à la manière d’un travelling) pour nous faire vivre de l’intérieur le conflit armé. Le réalisateur russe use également du hors champ pour évoquer l’innommable et suggérer que l’horreur du conflit dépasse allègrement ce que l’on peut voir à l’écran.

Elem Klimov a été marqué dans son enfance par la bataille de Stalingrad qui s’est déroulée dans la ville qui l’a vu naître en1933. Son film Requiem pour un massacre est une oeuvre personnelle sur la guerre dont les images vous resteront à jamais gravées à l’esprit et qui rappelle à travers les regards caméra de son jeune acteur que le septième art n’est pas seulement du divertissement, mais qu’il peut également changer votre vie.

Requiem pour un massacre est une œuvre indispensable qui nous montre le pire de l’humain : l'aboutissement de l’intolérance et le visage du fascisme. À VOIR ABSOLUMENT !

Laurent