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L'Âge de cristal, c'est d'abord des souvenirs cathodiques avec la série dérivée du film qui était souvent rediffusée dans le cadre de l'émission La une est à vous sur TF1. Je vous l'accorde, l'évocation de ce programme ne nous rajeunit pas. Pour les plus jeunes d'entre vous qui n'ont jamais eu  le "plaisir" de voir cette émission présentée par Bernard Montiel, je dirai que La une est à vous, c’est une sorte de SVOD où l'abonnement est remplacé pas des appels surtaxés. Un concept assez novateur qui permettait aux spectateurs de choisir leur série parmi une sélection de programmes. Quand Guy Lux inventait Netflix !

Néanmoins, il ne faut pas se leurrer, cette émission était avant tout un moyen pour la chaine de nous refourguer des stocks de séries multirediffusées ou des morceaux de  programmes dont seul un nombre restreint d’épisodes étaient doublés, comme Le sixième sens. Pour l’enfant que j’étais alors, ce fut ma première rencontre avec L'Âge de cristal et ses 3 héros qui essayaient d’échapper aux limiers de la Cité des dômes. Un souvenir marquant de mon enfance à l’instar de Cosmos 1999, autre monument de la S.F. télévisuelle dont je ne ratais aucun épisode.

Pas encore un cinéphile averti en raison de mon jeune âge et n’ayant pas encore accès au Web, je ne pouvais pas savoir que L’âge de cristal était avant tout un film de science-fiction qui avait été décliné en série en raison de son succès au box-office. Une oeuvre d’anticipation culte dont Nicolas Winding Refn a voulu faire un remake il y a quelques années et qui est emblématique d’une science-fiction politisée des années 70 qui dénonçait les périls à venir au même titre que le Soleil Vert de Richard Fleicher ou le Rollerball de Norman Jewinson. Il faut bien se rendre compte que le Nouvel Hollywood qui avait pris le contrôle à Hollywood, a permis à des réalisateurs de genre de développer une science-fiction pessimiste et engagée très différente des films d’invasion des années 50 ou des serials tels que Flash Gordon dont l’univers hérité du space opera reviendra à la mode avec les Star Wars.

Mais que raconte le film ?

Nous sommes en 2274. En apparence le Sanctuaire est un véritable paradis. Ses habitants, néanmoins, n'ont pas le droit d'en sortir. Ceux qui ont l'audace d'aller voir ailleurs sont systématiquement traqués et supprimés. De plus, une sorte de malédiction condamne la population à mourir à l'âge de 30 ans. Les citoyens qui atteignent cet âge sont éliminés au rayon laser. On parle d'une sélection qui permettrait à certains de renaître, mais nul n'est là pour en témoigner. Aussi les moins dociles préfèrent-ils prendre la fuite avant le jour fatal. Logan est de ceux-là. Cédant à la curiosité, il s'échappe un jour de la cité pour voir à quoi ressemble ce vaste monde qu'on lui cache depuis sa naissance...

Le film est adapté du roman Logan's run écrit à deux mains par George Clayton Johnson et William F. Nolan. En France, le roman avait été publié sous le nom Quand ton cristal meurt. L’auteur William F. Nolan a beaucoup oeuvré dans la SF, mais également dans le pulp et le policier. Il était un ami personnel de Ray Bradbuy et signera le scénario d'une pépite du fantastique Trauma de Dan Curtis. Il rédigera également seul des suites au roman Logan's run. Quand à George Clayton Johnson, il est connu comme l'un des scénaristes de la série originale Star Trek et du premier Ocean's Eleven avec Frank Sinatra et Dean Martin.

L’adaptation au cinéma est d’abord envisagée par George Pal, le réalisateur de La machine à remonter le temps et producteur de La Guerre des mondes en 1953. Il écrit un premier scénario très fidèle au livre qui est refusé par les pontes de la MGM en raison des moyens gargantuesques demandés pour mettre le script en images. Le studio restera tout de même intéressé par l'adaptation du roman. Mais pendant des années, la MGM n’arrivera pas à trouver un scénario faisable économiquement, en raison des nombreux décors pharaonesques évoqués dans l’ouvrage littéraire, jusqu’à ce que le scénariste David Zelag Goodman propose de limiter en grande partie l’action à une seule cité. Michael Anderson, réalisateur émérite de série B et solide technicien, se retrouve alors à la barre du film et va faire appel à des concitoyens britanniques pour les rôles principaux. Il engage ainsi Michael York et Jenny Agutter, ainsi que le vénérable Peter Ustinov connu pour son interprétation d’Hercule Poirot dans des films comme Mort sur le Nil. La nationalité anglaise de Michael York posera quand même problème, car l’acteur anglais aurait pu selon les rumeurs ne pas pouvoir finaliser certaines scènes du film (les séquences d’hologrammes) en raison d’un visa qui prenait fin alors que le film connaissait des dépassements de budget et voyait son tournage s’éterniser.

La réalisation de Michael Anderson sur le film est plutôt solide. Auteur d’un Orca mal aimé en son temps et qui a été depuis réhabilité, il est aussi à l’aide dans les séquences intimistes que dans les scènes d’actions où sa rigueur dans l'art du découpage fait merveille. Il donne même à voir des scènes de foule plutôt bien chorégraphiées et lisibles. On retiendra la cérémonie du carrousel et son ballet de corps en lévitation qui reste visuellement assez fascinant malgré les années passées.

Film culte, L’Âge de cristal souffre néanmoins d’une réputation d’œuvre kitch qui me semble très sévère, et manque totalement de recontextualisation par rapport à la date de sa création. Je dois pourtant bien l’avouer, certains effets, comme le robot aux chromes rutilants, ont pris un sacré coup de vieux, et l’emploi de maquettes pour les vues aériennes est plus que perceptible. Il est évident que la révolution technique opérée par le premier Star Wars, grâce à ses jeunes spécialistes en effets spéciaux, n’a pas encore eu lieu.  Néanmoins, on ne peut pas parler de kitch, comme pour un Starcrash qui cache son budget de misère par un goût du grotesque et des effets que même Méliès aurait trouvé datés. En effet, les différents collaborateurs techniques sur L'Âge de cristal ne surchargent pas le film jusqu’à l’écœurement d’effets démodés marqués par le mauvais goût. Glen Robinson et L. B. Abbott (lauréats de 4 oscars), en charge des effets visuels sur le film, ont quand même créé la plus grande maquette jamais utilisée au cinéma en 1976 pour essayer de rendre vivante la cité des héros du film. Les deux techniciens qui ont travaillé sur La planète des singes ne sont pas des peintres comme en témoignent certaines scènes particulièrement réussies comme la visite à la statue de Lincoln.

Ce que les gens trouvent kitch est tout simplement l’esthétique d’un film qui est symptomatique de la vision d’une SF où Star Wars n’avait pas encore imposé sa vision Ad vitam æternam de la science-fiction. Un film doit toujours être contextualisé par rapport aux canons esthétiques de l’époque où il a été créé. J’ai souvent lu des avis négatifs sur le web qui se moquaient allégrement du visuel du film de Michael Anderson. Ces personnes si sûres de leur goût esthétique devraient néanmoins se demander si notre cinéma actuel numérique vieillira aussi bien. Que penseront les spectateurs dans 20 ans des films Marvel qui ont toujours la même esthétique, les mêmes couleurs calibrées pour le téléviseur Full HD ? Ils rejetteront peut-être eux aussi les longs-métrages actuels en condamnant leur manque de réalisme, leur absence de prise de risque esthétique ou leurs monstres en numérique qui finissent tous par se ressembler.

L'Âge de cristal a bien d’autres qualités que son simple visuel. Plutôt bien écrit, le film possède, à la différence des blockbusters actuels, un vrai discours social à travers une dénonciation du jeunisme et du culte de la beauté tout en annonçant le péril écologique. C’est également un film qui prend son temps et demande à son public un peu de réflexion. Il semble ainsi ne pas avoir été conçu par et pour un adolescent de moins de 16 ans qui est devenu la seule référence d’Hollywood. Et puis les détracteurs du film qui le trouvent vieillot, oublient que c’est une œuvre qui innovait avec l’utilisation du laser pour créer des hologrammes et proposait une bande son ou Jerry Goldsmith se lançait dans l’électronique.

S’il n’égale pas les chefs d’œuvres de l’anticipation des années 70 comme Silent Running, Soleil Vert ou Rollerball, L'Âge de cristal reste tout de même un film hautement recommandable

Mad Will