Le film en VOD : LIEN

Jordan Peele avait frappé fort avec Get Out, formidable fable fantastique que n’aurait pas renié Ira Levin, l’auteur des Femmes de Stepford. En effet, son premier film utilisait un argument fantastique proche du Frankenstein de Mary Shelley pour nous asséner sa critique sociale sur une Amérique qui n’en avait pas fini avec la ségrégation. C’est donc avec beaucoup d’attention que le fantasticophile attendait la dernière réalisation du bonhomme qui nous reviendra également d’ici quelques jours à la télévision par le biais d’une nouvelle version de La Quatrième Dimension sur CBS. Si je vous évoque la célèbre série fantastique de Rod Sterling, véritable matrice de nombreux films fantastiques, ce n’est pas seulement parce que Peele supervise sa nouvelle version, c’est aussi parce que Us rappelle par son scénario autour du double (le doppelgänger) l’épisode 21 de la saison 1 intitulé Image dans le miroir qui mettait déjà en scène une jeune femme terrorisée par un double maléfique qui voulait prendre sa place.

Jordan Peele est un cinéphile et un vrai amoureux du genre fantastique. Son dernier film Us rappelle ainsi le cinéma de John Carpenter avec ses cadres structurés et extrêmement travaillés. Il rend même hommage au réalisateur d’Halloween par l’intermédiaire d’un plan sur un clochard qui entretient beaucoup de ressemblances avec le personnage joué par Alice Cooper dans le Prince des ténèbres. Mais Us cite également un autre film culte Carnival of souls avec cette séquence des miroirs dans la fête foraine et ses visions oniriques qui traversent le film. Grâce à une photographie encore une fois époustouflante de Mike Gioulakis, qui nous avait déjà mis KO avec Glass et It Follows, Peele compose des tableaux qui resteront à jamais figés dans notre inconscient de cinéphile comme lors de la séquence de l’arrivée des doubles qui se tapissent dans l’ombre.

Le cinéma depuis tout temps a été accompagné par de la musique. En effet, même du temps du muet, des pianistes jouaient en direct en même temps que les images défilaient. En grand cinéphile qui connaît l’importance de la musique au cinéma, Peele fait ici de nouveau appel à Michael Abels qui signe ici une partition envoûtante. Comment ne pas évoquer ce thème principal (Anthem) qui rappelle à la fois les Gobelins, Philip Glass et le travail de Kenji Kawai pour Mamoru Oshii dans Ghost in the shell. Une composition minimaliste et savante où résonnent des chœurs diaboliques que je ne cesse d’écouter depuis que j’ai vu le film. Dans le reste de la BO, certaines pistes évoquent également le travail d’un Bernard Hermann sur Psychose avec des envolées de cordes stridentes. Pourtant, même si Michael Abels en musique ou Jordan Peel à l’image ont été inspirés par leurs glorieux aînés, le film n’est jamais tourné vers le passé. Ses influences ont simplement alimenté l’inspiration artistique de ses auteurs qui signent une œuvre singulière au charme irrésistible.

Si j’ai cité Ira Levin en préambule de cette article, c’était pour expliciter que Jordan Peele utilisait le genre pour asséner un discours sur nos sociétés. Ses films sont avant tout des fables allégoriques qui nous donnent à voir par le prisme du fantastique, le dysfonctionnement de nos sociétés. Après le racisme dans Get Out, il est évident que Peel traite dans Us d’une Amérique qui rejette sur le bas-côté une grande part de sa population qui ne profite pas de la croissance. Par le biais de la figure du doppelgänger tapis dans l’ombre, le film met en scène ces exclus du système qui sont les premières victimes des crises économiques et qui désirent prendre la place des plus nantis par la violence. Ainsi, ses tenues rouges que portent les doubles qui envahissent notre monde renvoient de manière métaphorique aux uniformes orange dont on affuble les prisonniers américains. La population carcérale des USA venant principalement des quartiers pauvres, il est évident que Peele dénonce ici une société qui finit par enfermer ses défavorisés afin d’oublier leur existence même.

Le film a été très bien reçu par la critique française, trop heureuse de chroniquer un film dont le symbolisme lui permettra de remplir des pages et des pages. Pourtant, à la différence d’un Get Out parfaitement dosé en termes de satire et de fantastique, le discours de Peele dans son nouveau long-métrage a tendance à cannibalier son intrigue malgré une réalisation excellente. En effet, le film donne trop rarement l’impression que la survie de ses principaux protagonistes est en jeu. Ses héros souvent attentistes réagissent trop souvent selon la volonté du scénariste démiurge et ne semblent pas posséder un background ou une psychologie fouillée et vraisemblable. Le personnage du père et ses blagues décalées qui ne fait rien du dernier tiers du métrage est particulièrement emblématique d’une écriture qui n’arrive pas à doser discours social et récit d’une invasion particulièrement sanglante par des doubles maléfiques. Ces limites concernant l’écriture du film sont  mises en lumière par le retournement final. Prévisible (on le devine au bout de 5 minutes), il ne fonctionne pas et contredit la dimension allégorique d’une réalisation dont l'intrigue ne peut-être expliqué de façon vraisemblable. Au final, un long-métrage trop cérébral pour faire peur alors que c’était l'intention première du réalisateur (Lien Interview). Peele a oublié ici les paroles d’un Stephen King qui dans son essai Anatomie de l’horreur indiquait que le genre horrifique fonctionne avant tout sur le ressenti et non sur l’intellect.

Pour autant, malgré ces quelques réserves, le film de Peele est à voir en salles. C’est en effet une œuvre singulière, extrêmement bien réalisée, qui doit beaucoup à la performance habitée de son actrice Lupita Nyong'o.  Espérons simplement que le réalisateur américain dosera mieux son goût pour le cinéma de genre et ses velléités d’auteur dans sa prochaine œuvre.

Mad Will