Le film est disponible à cette adresse : https://www.netflix.com/fr/title/80169469

Après Bohemian Rhapsody sur le groupe Queen qui était revenu sur l’une des figures mythiques du rock anglais, Netflix nous propose un biopic sur un autre groupe culte : les Mötley Crüe, une formation phare du hard rock américain à la vie tonitruante. Groupe de tous les excès, incarnation du rock dans son mode de vie jusqu’à la caricature, le film est un kaléidoscope de drogues et de guitares électriques, peuplé de jeunes femmes dénudées. Apôtres du politiquement correct et fan de musique douce, passez donc votre chemin ! Car dès les premières minutes, le ton est donné avec une femme fontaine accompagnée de riffs de guitares saturées. À ce titre, même si on peut regretter l’absence du film en salles, on peut supposer que Netlix (où les ciseaux de la censure sont moins tranchants) était l’écrin idéal pour réaliser un biopic déjanté sur un groupe emblématique de l’hédonisme rock 'n' roll ou la mort et le sexe sont intimement liés. (N’appelle-t-on pas l’orgasme la petite mort ?).

Mais que raconte le film The Dirt  ?

Dans ce biopic inspiré du best-seller sur Mötley Crüe, quatre marginaux de Los Angeles accèdent à la notoriété dans l'univers déjanté du rock 'n' roll.

Ici pas de biographie en mode Wikipédia du groupe. Même si les 4 musiciens du film sont aussi producteurs, le long-métrage nous dresse un portrait  pas toujours reluisant du quartet. Après l’ouverture résolument trash et grivoise évoqué dans le premier paragraphe, le film nous dévoile un Nikki Sixx bassiste du groupe et principal compositeur qui, enfant, se tranche le bras pour échapper à sa mère envahissante et alcoolique. Ses 3 autres comparses qui nous sont présentés ensuites, sont également de jeunes gens un peu paumés qui décident de se lancer dans le grand bain du rock pour donner un tant soit peu de sens à leur vie.

Le réalisateur du film Jeff Tremaine est l’un des fondateurs de Jackass sur MTV (en argot : crétin). Cette émission culte filmait un groupe de jeunes adultes exécuter des cascades dangereuses et autres fantaisies souvent bien "beauf", pensées pour faire rire. Émission emblématique de la Trash TV, il semblait que le profil de son réalisateur correspondait bien à l'esprit d'un groupe de musique qui s’est toujours considéré comme un rassemblement de mecs qui faisaient du rock pour coucher avec des filles et jouer le plus fort possible. En effet, Mötley Crüe, n’est pas un Pink Floyd qui assène des discours politiques ni un Led Zeppelin dont les textes contiennent de nombreuses références littéraires. Non, leurs paroles et leurs musiques correspondent bien à l’hédonisme vécu par certains adolescents qui font la fête en n’espérant rien d’autre, dans ces années 80 obnubilées par le corps et le fric. En allant plus loin, au crépuscule des années 90, Jackass avait une démarche semblable. Quand il n’y a plus rien à espérer, la connerie est alors envisagée comme une forme de régressions salutaire pour échapper au conformisme des costards-cravates.

Le résultat à l’écran de cette rencontre entre le metteur en scène de Jackass et le groupe de hard rock est un uppercut qui montre tout. Le film met ainsi en scène l’accident de voiture d’un Vince totalement bourré qui le conduira en prison. Le réalisateur nous dévoile également l’addiction du bassiste à l’héroïne dans une séquence assez insoutenable où celui-ci cherche encore une veine en état de fonctionnement. Le film enfin évoque comment l’alcool et les antidouleurs deviennent le quotidien du guitariste Mars qui souffre d'une spondylarthrite ankylosante. Mais c'est peut-être la séquence où le batteur Tommy Lee décrit sa journée quotidienne qui montre le mieux que le cinéaste ne veut pas faire de ces personnages des héros. On y voit le batteur totalement hébété perdre pied et ses derniers neurones entre vomis, drogues et scandales à répétition.

Le film est basé sur la biographie écrite à 4 mains par les membres du groupe. Plutôt à 5 mains, car le journaliste Neil Strauss a retravaillé chaque passage et réorganisé la narration où l'on passe rapidement d’un membre à l'autre du groupe. Le film va rependre en partie la structure du roman en brisant régulièrement le 4ème mur. Ainsi, que ce soit par les apartés des acteurs qui interprètent nos 4 stars du rock, ou bien de nombreuses voix off, le long-métrage offre plusieurs éclairages sur une même situation. The Dirt, grâce à ce dispositif, ne tombe jamais dans la volonté de nombreux biopics de construire une légende, car lorsqu’un membre divague, un autre le contredit pour rétablir la vérité.

Quand à la mise en scène de Jeff Tremaine, elle rend parfaitement l’ambiance des concerts et alterne avec un égal bonheur les séquences stylisées (cette scène où le batteur raconte la vie du groupe entre drogue et solo de batterie dans une cage vaut son pesant d’or) et les scènes proches du documentaire.  Flamboyant (les prestations pleines d’énergie du groupe), souvent grotesque (la drogue rend con tout de même!), touchant (l'enfer vécu par les personnages), pathétique (ces mecs détruisent tout autour d'eux), le film rend parfaitement l’histoire de Mötley Crüe. Un groupe venu de nulle part et formé par des gamins qui sont allés au bout de leurs rêves de rock star et qui en ont payé le prix.

La réserve que l’on pourrait faire néanmoins à ce biopic plutôt réussi, c’est de ne pas assez parler de musique. Peut-être que l’expérience du réalisateur dans Jackass lui a parfois fait oublier que dans cette période où les machines ne suppléaient pas encore les hommes sur scène, la musique demandait beaucoup de pratique afin de  parvenir à maîtriser son instrument. Il aurait été donc intéressant au-delà des frasques, de les voir plus en studio et de mettre en scène leurs doutes artistiques et leur évolution dans leur travail.

Pour conclure, le film témoigne d’une époque révolue où le poids des réseaux sociaux et le satané politiquement correct étaient moins forts qu'aujourd'hui. Dans notre monde connecté, obnubilé par l’image et les followers, où la moindre groupie peut vous filmer avec son portable et se venger, les groupes de rock ou de rap sont maintenant composés de businessmen qui savent parfaitement gérer leur carrière. Alors que les Mötley Crüe à leur début étaient à l’image de la jeunesse qui par essence doit être libre, renverser les tables et parfois être destructrice.

Pour ma part, malgré les années qui passent, je préférai toujours être cette satanée cigale que l’ennuyeuse fourmi. Longue vie au rock 'n' roll et à The Dirt !

Mad Will