Le film en VOD : LIEN

Ah ! Les années 90. Votre honorable serviteur découvrait Gunnm chez Manga vidéo. Une époque bénie où sortaient bon nombre de perles venues du Japon. Les otakus d’alors avaient l’impression de découvrir un "Nouveau Monde" en matière de narration avec des titres comme Neon Genesis Evangelion d’Hideaki Anno ou Cowboy Bebop de Shin'ichirō Watanabe. L’OAV (animé destiné à la vidéo) de Gunnm, paru chez nous en VHS, permit à beaucoup de geeks de l’époque de s'intéresser au manga original de Yukito Kishiro qui était disponible chez Glénat dans la collection « Akira ».

Mais il n’y avait pas que les petits Français qui découvraient Gunnm à l'époque. De l’autre côté de l’atlantique, le réalisateur James Cameron déclarait son amour à ce manga apocalyptique connu là-bas sous le nom d’Alita. Durant les années 2000, le projet de la version cinéma d’Alita va  devenir une arlésienne entretenue par Cameron qui annonce le tournage du film sous sa direction à plusieurs reprises. En 2015, alors que tout espoir semble perdu car Cameron est très occupé par Avatar 2 et 3, il officialise la production d’un film dont il confie la mise en scène à Robert Rodriguez. Le choix du metteur en scène d’ Une nuit en enfer enflamme la toile. En effet, le réalisateur de Desperado a souvent déçu, que ce soit ces Spy Kids qui sont de la bouillie numérique, ou ces Machete qui flirtent avec le grotesque. De plus son second volet de Sin City a déçu de nombreux fan du 9 ème art qui pensent tout simplement que l’homme n’a pas les épaules pour adapter un tel monument du manga.

4 ans plus tard... Nanti d’un budget avoisinant les 200 millions de dollars et profitant des travaux préparatoires de Cameron, Rodriguez a-t-il réussi à signer un bon blockbuster alors que sa carrière bat de l’aile depuis presque 10 ans ?

La réponse est simple : Oui. Alita est assurément l’une des meilleures productions à gros budget sorties ces dernières années. D’un point de vue visuel, on ne peut que souligner la lisibilité de scènes d’action bien servies par des effets spéciaux bluffants qui arrivent à donner vie à des entités mécaniques assez fascinantes. De plus, de mémoire de cinéphile, on a rarement vu une créature virtuelle aussi vivante que la jeune Alita. Grâce à la prestation de Rosa Salazar et le studio Weta, notre héroïne est une créature numérique aussi marquante que le Gollum du Seigneur des anneaux.

Le film est tellement réussi techniquement dans ses scènes d’actions que l’on en vient à soupçonner Rodriguez d’avoir été un simple exécutant qui a suivi les animatics et autres story-boards de Cameron qui travailla de longues années sur le film. Mais peu importe, dans un cinéma hollywoodien vampirisé par les hommes en collants, le film fait vraiment plaisir à voir avec son esthétique à la Frankenstein. Alita expose en effet une humanité rafistolée de bric et de broc où les rouages et la chair finissent par se confondre afin de constituer une nouvelle étape de notre évolution.

À travers l’évolution psychologique d’Alita qui découvre petit à petit la dureté du monde, le film propose une réflexion sur notre humanité où la fin des idéaux a fait de nous des esclaves qui ont perdu toute humanité et qui sont condamnés à rêver à une cité suspendue inatteignable plutôt que d'agir contre les puissants.  Au-delà de cette thématique, il est vraiment appréciable de regarder un film qui n’abuse pas des punchlines (bons mots) et d’un humour envahissant dont Hollywood raffole pour masquer la vacuité des scénarios. À ce titre, l’idée de la scène où Alita offre littéralement son coeur fait plaisir à voir dans un paysage ou le nihilisme est devenu la norme.

Alita est un blockbuster qui est largement supérieur aux gros budgets actuels. Mais est-ce un grand film ? Un chef d'oeuvre de la science fiction  ?

La réponse est malheureusement non. La première raison en est toute simple : le budget pharaonesque du film qui limite la liberté de ses auteurs à une époque où les services marketing font la loi dans les studios. À ce titre, même si je ne suis pas un spécialiste du manga Gunnm, j’ai bien noté que malgré une certaine fidélité à l’oeuvre, il est clair que sa dimension tragique a été totalement réduite, on peut même dire est inexistante. Ainsi, le personnage de Yugo (Hugo) qui était désespéré dans le manga, est devenu ici un bellâtre avec des tablettes de chocolat et un sourire ultra-bright. Il est également entouré de super potes qui lui tapent dans la main comme dans une pub Coca-Cola. Le film met en scène comme ami d'Alita un personnage dans la lignée des productions "Young Adult" qui pullulent sur nos écrans depuis Twilight. Cette édulcoration est également visible dans la représentation de la ville où il fait bon vivre malgré quelques rixes. Dans le manga, Iron City était un dépotoir immonde et désertique. C’était également un vrai coupe-gorge submergé par les ordures de la ville de Zalem située au-dessus. Dans le film, l’environnement urbain est si accueillant et propret que l’on finit par ne pas comprendre les motivations des personnages qui souhaitent échapper à cette ville qui est loin de l’enfer de l’oeuvre originale.

La seconde raison est sans doute liée à son réalisateur Robert Rodriguez qui aurait pas mal élagué le scénario original et qui a privilégié l’action au détriment des scènes intimistes. Le cinéaste a sans doute eu conscience de ses limites dans les scènes psychologisantes où son découpage devient plat et sa direction d’acteurs approximative. Jennifer Connely ou un Christoph Waltz ne semblent ainsi pas du tout concernés dans de nombreuses scènes du film.

Alita est donc un bon divertissement, nénamoins limité par un scénario où les personnages sont rarement développés, et par un monde édulcoré qui ne possède pas l’impact émotionnel de son modèle en bande dessinée. Mais au regard de la production actuelle, le film reste une tentative ambitieuse et plutôt recommandable de nous proposer autre chose. Un univers plus original qu’à l’habitude à Hollywood !

Mad Will

La bande annonce :