À découvrir à cette adresse sur Netflix.

Beaucoup de choses ont été écrites sur Roma , le dernier film d’Alfonso Cuarón qui aurait dû avoir les faveurs d’une sélection à Cannes si son distributeur n’avait pas été Netlfix. La guerre entre le géant de la SVOD et les exploitants français aura fait au final le bonheur du festival de Venise plus souple sur la question de la nécessaire diffusion des œuvres en salles et qui a récupéré dans ses sélections le film de Cuarón, mais aussi The Ballad of Buster Scrugg des frères Coen et un opus inédit d’Orson Wells. Roma va même remporter le lion d’or à Venise permettant à Netflix de signifier au monde du cinéma que les frontières entre la SVOD et le septième art sont vouées à disparaître.

Maintenant que le film est disponible pour les spectateurs du monde entier, il est temps de revenir sur cette oeuvre signée par un cinéaste qui a toujours navigué entre le cinéma d’auteur à tendance festivalière (Y tu mamá también) et les productions hollywoodiennes cossues telles qu'Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban, Les Fils de l’homme et Gravity où il a essayé de concilier spectacle et expérimentations esthétiques. Pour son nouveau long-métrage, il évoque l’œuvre de Marcel Proust. En effet, son film est  une tentative de récréer par le biais de l’image et du son, des fragments de son enfance.

Noir et blanc somptueux, plans parfaitement composés, mouvements d’appareil (panoramiques et travellings) qui suspendent le temps et l’action à la manière d’un Alain Resnais, chaque photogramme du film semble avoir fait preuve d’un soin quasi monomaniaque. Roma est clairement l’un des plus beaux longs-métrages produits ces dernières années et il aurait mérité une salle de cinéma comme écrin pour dévoiler toutes ses splendeurs. Au-delà de l’histoire de Cléo que le film met en scène, c’est une oeuvre qui évoque en filigrane le cinéma. Ainsi, son titre renvoie au Fellini Roma alors que sa lenteur et sa vision de l’enfance sont dignes du Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman. Son goût pour le septième art ne se limite cependant pas aux figures institutionnelles, il rend ainsi hommage à John Carpenter en filmant la voiture du père de famille comme Christine et emprunte certains plans d'Il était une une fois en Chine de Tsui Hark pour une scène de kung-fu assez surréaliste. Nous sommes clairement devant un long-métrage réalisé et pensé par un fin connaisseur du septième Art.

Revenons à l’oeuvre de Proust dont se réclame le réalisateur mexicain à travers la célèbre "madeleine" évoquée dans À la recherche du temps perdu. Il est clair que Cuarón a brillamment réussi à retrouver son aspect, sa texture, mais a oublié pourquoi elle a marqué son auteur enfant : son goût. La magie de l’enfance est l’émerveillement, c’est un âge où les émotions sont essentielles pour appréhender le monde. Ce ne sont pas des effets spéciaux, ni un cadre parfaitement exécuté, ni même des meubles d’époque qui suffiront à donner vie aux souvenirs du réalisateur. En effet, à trop vouloir soigner le décorum, il nous met littéralement à distance de ses personnages qu’il filme comme s’ils étaient emprisonnés dans un cadre de tableau. Ainsi, quand le générique final apparaît à l’écran, il semble évident que le réalisateur ne nous a rien dit sur le Mexique, sur sa famille ni même sur son personnage principal. En effet, à l’exception de quelques brides de dialogue, on ne saura jamais rien du milieu social de Cléo, de ses pensées, de ses sentiments, ni même de sa vie de femme qu’il réduit à une grossesse non désirée. Si Cuarón ne se reprenait pas dans le dernier tiers du film, Roma ressemblerait à une réception mondaine où des bourgeois évoquent le milieu prolétaire avec une certaine bien-pensance qui dissimule mal une méconnaissance totale de classe. Néanmoins la dernière demi-heure qui nous montre les deux femmes de la maison se prendre en main est vraiment réussie et nous émeut grâce à un dispositif scénique qui se fait moins présent et qui laisse enfin de la place à l’émotion avec cette magnifique scène de sauvetage sur la plage.

Mad Will