Les Révoltés de l'an 2000 de Narciso Ibáñez Serrador est un film fondateur du cinéma de genre espagnol. En effet, cette réalisation est considérée par de nombreux jeunes cinéastes ibériques oeuvrant dans le fantastique ou le thriller, comme la référence ultime.
Quand on voit l’oeuvre d’un Jaume Balagueró avec des titres comme La secte sans nom, on retrouve ici la même âpreté. De la même manière, les réalisations européennes de Guillermo del Toro telles que Le Labyrinthe de Pan ou L'Échine du Diable et leur dénonciation d’une enfance détruite par le monde des adultes n’auraient jamais été les mêmes sans le travail cinématographique de Narciso Ibáñez Serrador.
Ce réalisateur est une figure du fantastique espagnol peu connu chez nous, mais qui était une vedette dans son pays avec ses fameuses Historias para no dormir, sorte d’Alfred Hitchcock présente à la sauce ibérique qui effraya bon nombre de petits Espagnols devant leur écran de télévision. Les Révoltés de l'an 2000 est son second et dernier long-métrage pour le cinéma après La résidence qu’il signa en 69. Dès ce premier opus, on se rendait compte des talents plastiques du réalisateur, capable de créer des ambiances uniques et suffocantes. Dans La résidence, il évoquait  la rigidité morale d’une directrice d’institution qui nous rappelait la nourrice des Innocents de Jack Clayton. Sa mise en scène expressionniste de haute volée a sans doute marqué un certain cinéaste italien chéri par l’auteur de ses lignes pour écrire son Suspiria .

Mais que raconte le film ?

Un jeune couple anglais se rend dans une station balnéaire espagnole pour y passer des vacances. Evelyn, qui est enceinte, ne supporte bientôt plus la foule et le bruit. Tom lui propose donc de se rendre sur l'île d'Almanzora. A leur grande surprise, les deux jeunes gens constatent, dès leur arrivée, qu'il n'y a aucun adulte sur l'île. Rapidement, ils se sentent épiés dans leurs moindres faits et gestes par des enfants au regard angoissant...

Il est indispensable pour apprécier ce film d’oublier son titre racoleur de série Z qui n’a pas vraiment de lien avec le long-métrage. On soupçonne les distributeurs d’avoir choisi Les Révoltés de l'an 2000 pour des raisons bassement commerciales. Ici pas de science-fiction, d’univers post apocalyptique, nous ne sommes pas dans un film fauché italien filmé dans la décharge voisine avec des voitures de golf qui imitent l’univers de Mad Max . Le long-métrage de Narciso Ibáñez Serrador est une fable que l’on pourrait rapprocher de La Nuit des fous vivants de Romero et des Oiseaux d’Hitchcock avec un fantastique souvent suggestif où la menace vient d’un groupe composé d’individus considérés a priori comme innocents. Le titre original ¿Quién puede matar a un niño? (Qui peut tuer un enfant ?) cristallise le questionnement moral de notre couple de héros.

Les Révoltés de l'an 2000 est très éloigné du cinéma d’exploitation auquel son titre pourtant le rattache. Ainsi les 8 premières minutes du film sont des images d’archives qui nous montrent que les enfants sont toujours les victimes innocentes de la folie des adultes. Une ouverture difficile à supporter avec ces images assez insoutenables des camps d’extermination où des famines en Afrique. Cette entrée en matière a néanmoins le mérite de montrer la dimension politique du film. Les Révoltés de l’an 2000 est en effet typique du cinéma ibérique qui utilise le genre pour proposer un discours engagé sur nos sociétés comme dans La Isla mínima ou Que Dios Nos Perdone .
Il faut également garder à l’esprit que ce métrage est réalisé à la chute de Franco. Le film témoigne donc d’une rage trop longuement contenue durant le régime du dictateur ibérique. Les Révoltés de l'an 2000 met en scène des enfants qui agissent comme des prédateurs contre les adultes sur une petite île perdue.  Si le réalisateur évoque par quelques images une relation télépathique qui passerait d’un enfant à l’autre, il ne donne jamais la moindre explication au comportement violent de ceux-ci. Le réalisateur avec cette ouverture servie par des images d’archives en noir et blanc veut balancer un message clair au spectateur : « dans ce monde pourri, les enfants devraient se rebeller contre les adultes égoïstes s’ils veulent survivre ». Au moment où j’écris ces lignes, l’ONU vient d’annoncer que nous avons moins de deux ans pour changer nos habitudes qui détruisent notre planète. Nous nous dirigeons irrémédiablement vers notre destruction et pourtant on continue de faire des enfants sans faire les efforts nécessaires pour leur offrir un monde meilleur. Si le réalisateur regrettait d’avoir asséné son message de façon aussi forte dans les dernières interviews qu’il a données, l’état du monde actuel donne pourtant raison au jeune homme qui réalisait le film dans les années 70.

Ce qui frappe dans ce film, c’est sa mise en scène. Le film est solaire. À l’instar du Shining de Kubrick, le réalisateur n’utilise pas les zones sombres habituelles et réconfortantes pour le spectateur où les personnages peuvent se dissimuler à l’instar du monstre qui les poursuit. Cette lumière incandescente signifie que le couple de héros ne veut pas accepter que les enfants victimes habituelles de la folie des hommes soient devenus des bourreaux.

Son recours progressif à des plongées pour signifier l’enfermement des personnages, sa manière d’utiliser la lumière qui écrase littéralement les protagonistes, sa science du cadrage pour l’enfermement, témoignent d’une maîtrise totale du langage cinématographique par Narciso Ibáñez Serrador. Le réalisateur recourt au hors champ pour les horreurs perpétrées par les enfants pendant une majeure partie du film jusqu’à l’acceptation par les héros de l’impensable : les enfants sont des tueurs. La caméra filme alors les exactions des mômes avec cette scène absolument terrifiante où ils jouent à la piñata avec le corps d’un vieil homme. Pour autant, le film ne recourt jamais à l’effet facile ou au gore.  Le cinéaste préfère laisser travailler notre imagination comme dans cette scène de la pension de famille où une petite fille que l’on sait meurtrière vient chercher son papa en pleurant. L’homme accepte de la suivre en sachant pertinemment qu’il va mourir.

Le film est une œuvre impressionnante qui nous bouscule en nous interrogeant sur la frontière entre l’innocence présumée des enfants et la perversion des actes perpétrés. Un long-métrage singulier dont les derniers plans tourmentent encore ses spectateurs.

Narciso Ibáñez Serrador est également un formidable directeur d’acteurs. Lewis Fiander qui fait beaucoup penser à Donald Sutherland dans Ne vous retournez pas est excellent, on ressent littéralement la perte de repères du personnage à mesure qu’il s’enfonce dans l’horreur.  Prunella Ransome en jeune maman est également très investie dans son rôle. Quant aux mômes, leur prestation est extraordinaire. Mélange d’innocence et de sadisme, leur interprétation témoigne d’une étape de la vie où le bien et le mal se confondent.

Les révoltés de l’an 2000 et un grand film d’ambiance, une oeuvre singulière qui ose confronter ses images d’archives des camps de concentration avec les corps bouffis par la graisse sur les plages dans les premiers plans du film.
Le long-métrage sera censuré à sa sortie en Espagne et interdit dans de nombreux pays. Il connaîtra une distribution réduite voire inexistante en France jusqu’ à l’édition DVD de Wild Side alors même que le film avait obtenu le Prix de la Critique au Festival international du film fantastique d'Avoriaz en 1977. Une oeuvre pessimiste, forte et portée par une mise en scène digne du grand Alfred avec des acteurs investis. Tout simplement l‘un des plus grands films de genre européen. Chef-d’œuvre ? La réponse est simple : oui !

Mad Will