Le film en VOD : LIEN

Il y a des films qui ne vieillissent jamais, des classiques instantanés dont ne peut jamais se lasser. Les Blues Brothers appartient ainsi au cercle très fermé de ces oeuvres que l’on connaît pas coeur et dont on attend chaque diffusion avec la même impatience. À l'occasion de la mort de la diva de la soul Aretha Franklin, il me semblait indispensable de revenir sur ce long-métrage dans lequel elle jouait et qui participa à la redécouverte de la scène blues et soul. Je profite de ce retour pour vous annoncer la venue de son réalisateur John Landis (Le loup-garou de Londres , Thriller) au Festival Européen du Film Fantastique à partir du 14 septembre 2018.

Mais au fait que raconte les Blues Brothers ?

Jake et Elwood Blues veulent reformer leur groupe de Rhythm and blues et donner des concerts afin de gagner les 5000 dollars nécessaires à la survie de l'orphelinat de leur enfance, menacé de fermeture par le fisc. Leur projet s'annonce difficile à réaliser. Poursuivis par la police, une bande de néonazis, des musiciens et une femme mystérieuse, les Blues Brothers se trouvent mêlés à des aventures plus rocambolesques les unes que les autres.

Si ce long-métrage est devenu une oeuvre culte (même Télérama aime ! C'est dire...) dont on salue la bande originale de haute volée, il faut se remémorer que Les Blues Brothers fut créé à une époque où le Rhythm and blues n'avait plus sa place sur les radios qui privilégiaient le disco. À ce titre, John Landis est souvent amusé quand on lui demande comment la production a réussi à réunir des stars aussi emblématiques que James Brown, Ray Charles ou John Lee Hooker. Sa réponse est toujours la même : ce fut facile et pas forcément onéreux car la plupart étaient au creux de la vague d’un point de vue commercial.

Pour comprendre la genèse du film dans un monde hypnotisé par les ballades sucrées d'Abba, il faut remonter à la fameuse émission Saturday Night Live créée en 1975 et dans laquelle Jake et Elwood apparurent. Ces deux personnages sont nés durant des réunions tardives après les émissions qui se transformèrent très vite en jam session avec un Dan Aykroyd à l'harmonica et John Belushi au chant. Les deux acteurs qui étaient intervenus plusieurs fois dans le programme TV déguisés en abeille, vont alors troquer leur dard pour des costumes plus classieux de soulmen. Nos deux acteurs américains vont alors former un véritable groupe qui chauffera la salle lors des coupures publicitaires et conclura les shows TV en musique. Howard Shore directeur musical du Saturday Night Live et futur compositeur de bandes originales telles que celle du Seigneur des anneaux va leur suggérer comme nom de scène Blues Brothers et les inviter à faire un album.

En 1978, parait Briefcase Full of Blues qui sera disque de platine. Universal va être intéressée par la production d’un film autour Jake et Elwood au moment même ou John Belushi cartonne avec American College.  Pour comprendre à quel point le Rhythm and blues n'était pas dans l'air du temps pour les studios, le producteur du film a refusé de sortir la bande originale. Selon lui, elle n’intéressera qu'une « minorité de noirs ». C’est donc Atlantic, un label moins prestigieux qui achètera les droits de la soundtrack et la diffusera en albums. La production du film est tout de même lancée malgré une certaine appréhension des décideurs pour créer une oeuvre totalement à contre-courant des Grease et autre Fièvre du samedi . Le film est né grâce à deux amoureux de soul et de blues que sont Aykroyd et Belushi qui utilisèrent leur notoriété pour permettre au film d’exister.

Beaucoup d’articles ont été écrits sur Les Blues Brothers mais peu ont évoqué l'influence des cartoons de la Warner sur le film. Le personnage de l'amoureuse déplorée d’Elwood interprétée par Carrie Fisher rappelle pourtant le vil Coyote qui poursuit Bip Bip avec ses tentatives de meurtre sur nos deux héros à base de lance-flamme ou de lance-roquette. De même, des objets comme la super glu qui anéantit le camion du groupe de country semblent venir de l'attirail d’ACME, la société fictive qui fournit des inventions aux personnages des animés de la Warner. Avec ses différentes courses-poursuites qui ne cessent de se succéder entre nos héros, les flics, les nazis et les ploucs américains, nous sommes bien dans la logique d’un Bugs Bunny ou d’un Tom et Jerry.

Si le film renvoie aux cartoons d’antan, c’est parce qu’il s’inscrit dans une logique burlesque où le corps joue un rôle essentiel pour déclencher les rires. Dan Aykroyd avec son physique filiforme et Belushi avec ses rondeurs évoquent Laurel et Hardy dont on retrouve les affiches dans certains plans du film (voir la scène dans la station-service). Dans ce film, il faut insister sur le génie comique d'un John Belushi parti bien trop tôt. Dévoré dans la vraie vie par les excès, le Bluto d'American College fait ici merveille. Un salto arrière, un regard suivi d'un déhanché, son jeu très physique est une constante source d’humour.

Landis et Dan Aykroyd en tant qu'amateurs du genre burlesque ont bien compris la nature politique et irrévérencieuse des films de Chaplin. Blues Brothers est avant tout un film politique qui lutte contre l'ordre établi. Un long-métrage salutaire où nos héros la clope au bec anéantissent les représentants de l’autorité et les réactionnaires de tout bord qu’ils soient sudistes ou fans du 3e Reich.

Les Blues Brothers, c'est avant tout une bande originale de folie, une déclaration d'amour à la musique noire américaine où les chansons d’anthologie portées par des artistes de génie se succèdent. Landis ne peut s’empêcher d’avoir des trémolos dans la voix quand il évoque ce film qui fut pour lui comme un rêve éveillé avec tous ses monstres du Rhythm and blues que sont Ray Charles, James Brown, Aretha Franklin, Cab Calloway et tant d'autres.
Ce qui frappe dans le film c’est l’infinie délicatesse et respect de ses auteurs pour une musique qu'il vénère. Les chansons ne se succèdent jamais gratuitement. Les stars de la musique noire américaine sont intégrées dans l'histoire et n’apparaissent jamais comme de simples guests.

Belushi et Ackroyd se sont toujours considérés comme des relais pour mettre en valeur une musique qu’ils aimaient de toute leur âme. Nos deux héros ne cessent de répéter la phrase : "Were on a mission from God ". C'est vrai, il sont bien au service d'un Dieu, celui de la musique !

Blues Brothers est un film riche et référencé où les scènes burlesques et musicales se succèdent. Le film avec ses séquences de cascades dantesques est d’une fluidité exemplaire dosant parfaitement ses effets. Quel est donc le secret d’une telle réussite ? 
Pour le découvrir, il faut peut-être revenir à l’écriture du film. On sait que Dan Aykroyd avait rédigé un premier scénario de plus de 300 pages que Landis a ensuite réécrit. On imagine sans mal le travail remarquable du cinéaste américain qui va reprendre le scénario et l'arranger en s’inspirant du principe des quêtes chevaleresques. Il va réorganiser Blues Brothers sur le principe du voyage du héros. En effet, Jack et son frère peuvent être perçus comme des chevaliers appelés à accomplir une quête (trouver 5000 dollars pour sauver un orphelinat). Ils vont d'abord refuser l’aventure mais ne pourront résister à l'appel des puissances divines symbolisées par James Brown en révérend.  Pour accomplir leur mission,  ils vont comme dans La Communauté de l'anneau, composer un groupe et récupérer leurs armes, les instruments de musique. Ils feront face à de nombreux opposants. Mais protégés par des forces supérieures qui leur évitent la mort, ils vont réussir leur mission. L’utilisation d'une lumière jaunâtre qui rappelle les enluminures au début du film ou les déplacements surnaturels de la bonne soeur corroborent cette théorie. En s’inspirant de la structure de beaucoup de nos mythes, le film nous raconte une histoire simple et universelle qui traverse les époques, mais dans laquelle nos auteurs peuvent se permettre toutes les outrances et folies.

Si Arthur et les siens ont recherché le Graal, les amateurs de musique et de cinéma ont trouvé le leur avec Les Blues Brothers. Un classique  à voir et à revoir ABSOLUMENT !

Mad Will