C’est vendredi soir, mars est fini, alors plutôt que d’aller dépenser les premiers euros de la nouvelle paie dans une quelconque gargote, nous vous conseillons de rester bien au chaud pour regarder… *roulement de tambour et voix grave* COMMANDO .

 

Commando fait partie de la catégorie « plaisir coupable » et doit donc être assumé jusqu’au bout. Mais pour en saisir toutes les subtilités (traduire : pour pouvoir le défendre en soirée et revendiquer fièrement ce qui pourrait passer pour une faute de goût) revenons sur le contexte du film afin de mieux comprendre l’engouement du public pour cet actioner des années 80 sorti en plein âge d’or du film d’action bourrin et mettant en scène le plus américain des Autrichiens. Fort d’un carton au box-office aux USA avec 35 millions pour un budget de 11 millions de dollars et en France puisqu’il reste le 4e meilleur film de l’acteur en termes de places vendues, Commando est un incontournable du film d’action tout simplement parce qu’au-delà de son second degré bienvenu et de son immoralité cathartique il constitue la synthèse et la forme terminale de l’action movie.

 

Il faut donc le voir pour ce qu’il est : une synthèse du genre des années 80, période dorée qui cristallise des influences diverses avec pêle-mêle, le développement du culte du corps et des hommes forts (heure de gloire du bodybuilding, stéroïde en vente libre etc), l’explosion de la VHS, l’arrivée de Reagan au pouvoir, les arts martiaux (popularisés dans les années 70 avec Bruce Lee puis chez les occidentaux avec notamment Chuck Norris) et les cartoons. Tous ces éléments coïncident pour façonner une nouvelle imagerie du cinéma d’action, celle de l’homme fort, seul, monolithique et capable d’affronter une armée. Sans doute dans la lignée du western (Chuck Norris est appelé « cow-boy » en permanence par la journaliste dans Invasion USA ) la matrice du genre est désormais celle de la représentation hyper masculinisée (Stallone, Schwarzenegger) ayant une tendance à la domination. Il ne faut pas se le cacher, ce type de héros reflétait l’esprit d’une certaine Amérique (qui vote maintenant Trump) qui pensait que le mâle blanc américain avait été affaibli par la lutte des minorités et des femmes dans les années 60 ou 70. Les films deviennent donc des exutoires et annoncent en même temps avant l’heure les premiers super héros puisqu’ils sont quelque part déjà des surhommes invincibles qui vont au carton avec le sourire.

Un type de cinéma souvent désigné comme « cinéma des années Reagan ou cinéma Reaganien ». Une tarte à la crème pour l’analyse filmique puisque cette notion désigne de manière large (très large) les films mettant en scène des héros blancs qui incarnent de manière hyper virile les valeurs du capitalisme, de l’individualisme et se font le porte étendard de la toute puissance américaine. Bref, des hommes, des vrais, physiquement forts et prêts à utiliser la violence pour rétablir une autorité considérée comme disparue ou bafouée. Une notion assez floue et très discutée dont les représentants se nomment Chuck Norris et Sylvester Stallone, sans doute aussi Van Damme et plus tard Steven Seagal (mais le débat est ouvert), et qui sont désormais des icones de la pop culture résonnant pour toujours avec l’imaginaire collectif. Surtout, ils reflètent un genre qui va utiliser jusqu’à la corde une recette éprouvée, celui d’un cinéma bulldozer ou un homme seul parvient à déboiter une armée dans des séquences toujours plus impressionnantes.

Et ça fait du bien pour où ça passe. La période Carter c’était la désillusion avec l’humiliation du Vietnam. Avec Reagan on relève la tête et le cinéma est là pour réécrire l’histoire et redorer le blason. Ainsi des films comme Rambo 2 et Portés disparus se passent… au Vietnam (allez les gars, on y retourne) !

Plus tard viendra le temps des anti-héros fatigués ou trop vieux pour ces conneries (le suicidaire Riggs de L’arme fatale ou le désabusé McClane pour Die Hard ) qui finiront par verser dans la comédie avant un dernier come-back dans Expendables .

Cependant, la construction de cet archétype est aussi influencée par la production, et il faut donc rappeler ici que derrière les films de Chuck Norris par exemple, véritable porte-drapeau de la bannière étoilée, on trouve une société qui s’appelle la Cannon et qui est réputée pour avoir inondé les marchés par des productions à la chaine. Sans rentrer dans les détails (mais pour ceux que ça intéresse je vous conseille vivement le super documentaire Electric Boogaloo très intéressant et plus objectif que The Go-Go Boys) la Cannon est rachetée par deux flibustiers israéliens, Menahem Golan et Yoram Globus (dont nous vous parlions déjà lors du retour sur Tobe Hooper juste ici) et le duo rêve de conquérir Hollywood. Surtout, ils comprennent rapidement le potentiel du marché de la vidéo et enchaînent les films de série B, souvent très nationalistes, pour surfer sur cette vague du film actioner. La cassette devient un nouveau mode de production, un marché parallèle qui rapporte plus aux producteurs que les sorties en salles et cette économie va contribuer à imposer l’imaginaire cliché de série B que l’on connaît. Et c’est important de le relever puisque Commando est un produit de studio et marque donc la contamination des films de série A par la série B.

Mais revenons à nos moutons, Commando c’est quoi ?

En fait, la question serait plutôt Alors Commando c’est qui ? Puisque le film est intégralement porté par le marmoréen Arnold Schwarzenegger qui incarne le colonel John Matrix, un ancien des Delta Force qui a laissé de côté la guerre pour vivre paisiblement dans la montagne et s’occuper de sa fille (Alyssa Milano) avec qui il mange des glaces, nourrit les biches, traverse des ponts et va à la pêche (vous allez voir, le début du film en termes de caractérisation au lance-pierre sous formes de vignettes vaut le détour). Alors, quand on kidnappe la petite Jenny Matrix pour le faire chanter, le colonel rendosse le treillis et le bazooka pour une vengeance sanglante.

Produit par Joel Silver, un des papas du film de genre avec Jerry Bruckheimer (Predator, l’arme fatale, Die Hard 1 et 2, le dernier samaritain et la liste est encore longue) Commando est mis en scène par Mark L. Lester et sort en 86 alors que Rambo 2 a tout explosé au box office et dans la lignée des Invasion USA , Portés disparus et autre Delta force (rappelez-vous, le cinéma de l’ère Reagan) avec c. Ici le héros est Arnold Schwarzenegger, quintessence du corps surhumain et couronné de gloire après Conan le barbare (1982) et surtout Terminator (1984). Il incarne John Matrix, icône et cliché de ce cinéma bulldozer ou tout finira en miettes. Un côté presque cartoonesque (une influence certaine de l’actioner) allié à un second degré salvateur qui fait de Commando un film agréable à regarder en équipe avec une bonne bière afin de pouvoir se délecter dans les meilleures conditions des aventures du colonel et apprécier la débauche d’effets et les punchline du général. Matrix parle peu (accent encore trop prononcé à l'époque ?), mais bien, et chaque réplique est quasiment culte. Alors évidemment le film a un aspect nanar et promet des beaux moments d’incrédulité devant certaines scènes, mais la progression vers toujours plus de boucherie permet de passer outre (la séquence du cabanon de jardin vers la fin du film est édifiante) et le rythme se tient bien grâce à un scénario basé sur un compte à rebours. Le film est donc mené tambour battant et il est très jouissif de voir Arnold exploser tout ce qui bouge et incarner une sorte de revanche pour le Terminator, la seconde chance pour la machine.

Et le film ne lâche rien, de l'enlèvement de Jenny Matrix jusqu'à la fin, l'action ne connaît pas de pause et ce grâce à un montage efficace, qui rattrape une mise en scène honnête mais pas particulièrement inspirée. Commando assume ce qu’il est et dispose d’un casting honorable avec face à Schwarzy un Vernon Wells cabotinant en cote de maille apparente et pantalon en cuir (il se voit lui même comme un Freddy Mercury sous stéroïdes) et une flopée de figurants désarticulés pour notre plus grand plaisir.

Bref le classique bazooka est une valeur sûre et il se dit même que l'écriture d'un Commando 2 est à l'origine du fim Piège de cristal (le marcel blanc déjà...). Mais surtout en cette période du tout numérique il fait bon revenir à un certain cinéma de corps et de chair. Vous pouvez y aller les yeux fermés…

T.K.

PS : à noter la sortie d’un remake russe, D-Day, sorti en 2008 et réalisé par Mikhail Porechenkov et dont nous parlerons peut-être dans un autre article ...

Pour aller plus loin sur la période 80

Et en savoir plus sur la filiation entre Commando 2 et Piège de Cristal