Le film en VOD : LIEN

1993...

J’avais 15 ans et je venais de voir Last Action Hero .

À la première vision, j’avais adoré le film. Un concentré d’action, de l’humour. Mais surtout j’avais ressenti que ce film possédait en lui quelque chose d’unique, A kind of magic comme le chantait si bien Mercury sur la bande-originale d’Highlander.

Last Action Hero ne fut pas le succès en salles tant attendu par ses initiateurs, ne remboursant que partiellement son important budget qui avait gonflé de façon démesurée avec une campagne publicitaire de lancement totalement dispendieuse. La Columbia Pictures à l’origine du projet devait faire face à sa concurrente Universal qui lançait Jurassic Park au même moment. Les échos autour du film annonçaient des images tout simplement révolutionnaires. La Columbia s’affole et vend Last Action Hero comme le plus gros film d’action jamais fait, allant jusqu’à placarder les visuels du film sur une navette spatiale à Cap Canaveral.

À la sortie du film, les producteurs furent déçus, eux qui s’attendaient à des grosses entrées financières en réunissant sur le même film, le réalisateur culte du cinéma d’action avec Predator et Piège de cristal , le scénariste Shane Black qui avait signé L’Arme Fatale et enfin le champion du box-office d’alors : Arnold Schwarzenegger.

Malgré des débuts en salles difficiles, le film a acquis un certain prestige comme tant d’autres œuvres mal aimées à leur sortie. Si Last Action Hero est bel et bien un film culte ayant marqué nombre de ses spectateurs, il n’est pas que cela. L’associer à la nostalgie et seulement à l’émotivité amoindrirait l’importance significative de ce long-métrage dans le paysage du 7ème art. Je sais que certains intellectuels du cinéma grinceront des dents, mais Non d’un Mad Will, Last Action Hero est une œuvre d’une grande intelligence qui divertit tout autant qu’elle nous fait réfléchir à la nature du cinéma comme fiction.

Last Action Hero a été piétiné par les tyrannosaures de Spielberg. Pourtant, avec le recul les vrais dinosaures de cette année-là étaient bel et bien Arnold et McTiernan, les défenseurs d’un cinéma de divertissement d’action en live qui sera bientôt remplacé par la production de films formatés où le regard du cinéaste n’a plus lieu d’être, ou l’ironie remplacera la bienveillance à la différence de Last Action Hero.

Mais que raconte (pour ceux qui ne connaitrait pas encore le film) Last Action Hero :

Danny Madigan, un gamin de 10 ans, voue un véritable culte à Jack Slater, un personnage de fiction, policier invincible, qu'interprète à l'écran Arnold Schwarzenegger. Son vieil ami Nick, le projectionniste, l'invite à voir, tout seul et en avant-première privée, la dernière des aventures de son flic favori, «Jack Slater 4». Il lui confie par la même occasion la moitié d'un billet magique. Incrédule, Danny se trouve projeté sur l'écran, aux côtés de Slater, en pleine scène d'action. Slater refuse d'admettre qu'il est un héros de fiction mais se montre intéressé par les informations que lui apporte Danny, qui a vu au début du film des scènes dont Slater était absent et en sait donc plus que lui sur les agissements d'un vieux gangster, Tony Vivaldi...

Le long-métrage débute par un zoom sur un écran de cinéma où passe le dernier film de Slater. Cet effet de caméra est le mal-aimé de la technique cinématographique, trop voyant et considéré comme artificiel par nombres de cinéphiles qui considèrent qu’il nous sort de l’histoire racontée (effet pourtant magnifié par les italiens). Le génie du réalisateur est d’utiliser le zoom d’entrée, nous montrant que le 4ème mur (qui sépare l’écran du cinéma des spectateurs) est brisé. Par cet effet d’optique, McTiernan nous indique d’office que nous allons pénétrer les coulisses du cinéma. Le cinéaste disait à ce propos dans les Inrocks : « “J’ai voulu faire un film d’action postmoderne, raconte le réalisateur. Tout comme en architecture, on construit des immeubles neufs pour qu’ils ressemblent à des constructions anciennes et valent comme commentaire sur ces immeubles anciens. J’ai conçu Last Action Hero comme un commentaire sur les films d’action. « *

Cette séquence se conclut à l’instant du climax (c'est le point d'orgue où tout se joue) de la scène, le fils de Slater va-t-il mourir ?

À cet instant, l’image devient floue, nous entendons une voix d’adolescent crier « le point » et nous découvrons notre jeune héros assis dans la salle. Encore une fois, le réalisateur simule un effet de caméra pour nous faire passer du monde fictionnel contant les aventures de Slater à la réalité de Dany. Sans effets démonstratifs, le réalisateur simule une fausse mise au point pour mettre en scène le film dans le film. En coupant à la scène au climax, il explicite dès sa première séquence que Last Action Hero proposera une réflexion sur la structure fictionnelle d’un film. En employant du vocabulaire technique avec la notion de point, Dany est défini comme un cinéphile averti qui connait toutes règles du 7ème art.

Après cette première séquence qui introduit le personnage du film et induit la dimension méta du film, nous avons la célèbre séquence d’Hamlet, où le professeur parle de Laurence Olivier avant de diffuser une séquence du film en noir et blanc qui se transforme par le biais de l’imagination de Dany en une scène d’action dantesque mettant en scène Arnold.

Beaucoup de personnes ont établi un parallèle entre la pièce de Shakespeare et le film, comparant la scène des comédiens au monde fictionnel de Slater. Au regard de la richesse du film (il faudrait une thèse pour réussir à exposer tous les enjeux de cette réalisation), cette lecture est valide. La référence à Laurence Olivier permet aussi à John McTiernan de nous montre que le cinéma se construit autour de mouvements successifs qui suivent les modes d’une époque. Le réalisateur a pleinement conscience que le « goût » passe, que l’acteur reconnu de ses pairs qu’était Laurence Olivier est devenu un inconnu pour un kid des années 90. Ce n’est donc pas un hasard si le professeur évoque ensuite le long-métrage Le choc des titans du début 80 (pas le mauvais remake). Ce métrage cristallise la fin d’une époque. Son géniteur Ray Harryhausen est un monstre sacré des effets spéciaux. Il fut formé par Willis O'Brien, lui-même créateur de la créature de King Kong des années 30. Son Choc des titans était le chant du cygne d’une carrière passée à faire rêver les gosses du monde entier. Mais dans les années 80, ses effets spéciaux artisanaux furent moqués à une époque ou Star Wars avait triomphé, alors que le film de Lucas lui devait tellement.

John McTiernan a compris l’évolution du Hollywood et son futur, il sait qu’il est déjà anachronique dans un cinéma obnubilé par le marché. Schwarzenegger avec beaucoup d’humour se joue lui-même dans la 3 ème partie du film où il rencontre Slater son pendant fictionnel. Il se caricature alors en acteur obnubilé par les ventes de sa chaine de restaurant.

Le film est un objet passionnant à voir et à revoir. D’une richesse thématique absolument dingue, chaque arrière-plan regorge d’indices. On ne citera que quelques références, il faudrait des centaines d’heures de visionnage pour les relever toutes tant le film est riche. Au hasard, on peut noter : le nom du producteur Franco Columbu des films de Slater qui renvoit au passé culturiste de Sharzy, l’arrivée de Robert Patrick le méchant de T2, la présence de F. Murray Abraham que Dany désigne comme le tueur de Mozart en raison du film Amadeus de Forman, la garde-robe de Slater qui ne propose que le même blouson et jean, les répliques qui n’ont aucune logique car ce sont des punchlines…

Le film déconstruit dans chaque plan le cinéma d’action et se joue de tous les possibles poncifs du genre comme l’indiquait son réalisateur : "Je pense malheureusement que le public américain n’est pas réceptif à un film aussi sophistiqué. De plus, beaucoup de gens, à commencer par ceux qui peuplent Hollywood, n’apprécient guère qu’on égratigne leur héros, qu’on révèle les ficelles, les combines, les clichés, bref, tout ce qui se déroule dans les coulisses. Hollywood ne nous a pas pardonné d’avoir livré au public ses secrets de fabrication. **

Pourquoi cette déconstruction ?

Simplement pour démonter un genre ? Non et c’est bien là le génie de John McTiernan. Il ne montre pas les codes pour s’en moquer, mais pour les dépasser. En faisant passer Slater dans le monde réel, il montre que le héros d’action pour se construire doit faire face à l’adversité, posséder une certaine psychologie, une humanité.

Sous peine d’uniformatisation et d’ennui, le cinéma se perd s’il ne propose qu’une succession de codes reproduits mécaniquement et à l’identique de scénario en scénario, Last Action Hero en dynamitant son récit montre qu’il ne veut pas suivre la formule, qu’il est un accident dans une production formatée. Quand Dany amène directement Slater au repaire des méchants dès le début du film, c’est pour mettre fin à l’histoire habituellement racontée pour nous conduire à l’inattendu.

Le film est avant tout l’histoire de Slater personnage de fiction qui s’humanise et qui dépasse son statut d’archétype, car il prend conscience de la réalité. Et c’est là que le film est visionnaire, annonçant le cinéma hollywoodien à venir qui ne propose que des suites et des remakes déguisés, où les quelques nouveautés utilisent sans les comprendre et sans jamais les dépasser les mêmes codes. Plus de vision, plus de psychologie sur les personnages, seule compte l’industrialisation à outrance de l’art selon des impératifs établis par le département marketing.

Le plan final de Last Action Hero, avec Arnold dans sa voiture qui nous fait au revoir de la main pourrait être perçu comme la fin d’un cinéma qu’on a tant aimé. Et ce n’est pas un hasard si le soleil derrière le personnage rappelle un genre majeur enterré par Hollywood faute de succès : le western.

J’aime sincèrement le cinéma d’action. Last Action Hero est un concentré de testostérone qui remplit parfaitement son cahier des charges, mais il possède aussi cette magie symbolisée par le ticket d’Houdini dans le film. Le magicien ici est John McTiernan, un cinéaste qui essaye d’offrir la meilleure œuvre pour son public qu’il ne voit pas comme une suite de courbes issues du cerveau endommagé d’un étudiant de commerce.

Le cinéma se construit chaque jour, à nous spectateurs de soutenir les films ambitieux, aux réalisateurs talentueux de se battre pour s’exprimer, et surtout aux financiers d’arrêter de penser pour les autres. Comme l’a si bien dit del Toro lors de son Oscars pour son très réussi Shape of the water, le meilleur est encore possible, la porte est ouverte, à condition de le vouloir : : « “I want to dedicate this to every young filmmaker(…)  And I was a kid enamored with movies, growing up in Mexico, I thought this could never happen. It happens. And I want to tell you, everyone that is dreaming of using fantasy to tell the stories about the things that are real in the world today, you can do it. This is the door. Kick it open and come in. »

Il y a eu La Nuit américaine de Truffaut, il a eu 8 et demi de Fellini qui parlait du cinéma.

Il y a Last Action Hero, un chef-d’œuvre aussi essentiel ! (N'en déplaise aux grincheux rétifs au cinéma d’action)

À voir ou revoir absolument !

Mad Will