À l’occasion de la sortie de Last Flag Flying de Richard Linklater, nous vous proposons de revenir sur la guerre du Vietnam par le prisme de trois films fantastiques : Le Mort-vivant de Bob Clark, L'Échelle De Jacob d’Adrian Lyne et House de Steve Miner.

Le premier est un puissant drame fantastique sur le retour des soldats du Vietnam, à l’instar de Vote ou crève en 2005 de Joe Dante. Le Mort-vivant est une fable horrifico fantastique sur une certaine Amérique qui ignore ses soldats. Bouleversant !

Deuxième film de cette sélection, L'Échelle De Jacob d’Adrian Lyne est une référence du fantastique avec son atmosphère oppressante et son scénario qui utilise le Vietnam pour évoquer des pratiques peu reluisantes des USA. Le chef-d’œuvre de son réalisateur !

Enfin pour finir, sur une note plus légère, Mad Will revient sur la sympathique série B House de Steve Miner qui met en scène un écrivain de fantastique ancien du Vietnam qui doit lutter contre une série de monstres venue envahir sa maison. Fun et décomplexée, une excellente Série B made in 80.

Le Mort-vivant

Le mort-vivant sorti en 1974 est réalisé par Bob Clark, un nom familier pour les cinéphiles puisqu’il est associé à Black Christmas, un film important souvent considéré soit comme l’un des premiers « vrai » slasher de l’histoire du cinéma, soit comme un film « séminal » ayant fortement influencé le genre par la suite. Il est aujourd’hui devenu un incontournable de l’histoire du cinéma d’horreur, un lien entre les années 60 marquées par le Giallo italien et Psychose d’un côté et la vague des Massacre, Halloween, Vendredi 13 de l’autre qui arrivera dans les années 70-80.

Tiré d’un fait divers, le film adopte déjà l’idée d’un tueur dont on ne connaît pas l’identité, présent à l’intérieur de la maison et qui assassine ses victimes une par une. Côté gimmick de mise en scène, l’utilisation de la caméra subjective pour le tueur et du téléphone pour menacer les victimes préface les emblématiques Halloween ou Scream qui revendiqueront ensuite clairement leur filiation. Mais Black Christmas ne suscitera pas en tant que telle une mode et c’est bien Carpenter et même Craven qui enclencheront de véritables séries.

Bob Clark a une carrière intéressante puisqu’il s’est aventuré sur différents territoires cinéphiliques souvent maintes fois arpentés et où il a pourtant toujours réussi à imposer une marque. En effet il est aussi connu pour ses comédies et on retiendra surtout Porky’s (1981) qui deviendra, bien avant American Pie, le film de référence pour les Teen Sex Comedie et A christmas story sorti en 1983.

Alors que dire de ce Mort-vivant ? Est-ce que cette excursion du côté des zombies vaut le coup d’œil ?

En un mot : oui. Le parti pris avant-gardiste le sauve des oubliettes du cinéma d’exploitation.

Après avoir appris le décès de leur fils Andy au combat, Maria et Richard Frost (Lynn Carlin et John Marley vus dans Faces de Cassavetes) sont dévastés. Maria surtout, implore Dieu de lui rendre son garçon. Le soir même, Andy revient.

Le mort-vivant ou Deathdream ou Dead of Night , est inspiré d’une nouvelle de W.W. Jacobs : The Monkey’s Paw. Dans ce récit, une patte de singe magique permet d’exaucer 3 vœux. Si le texte est entièrement construit sur le schéma du careful what you wish for puisque chaque vœu exaucé entraine un tragique retour de bâton, le film de Bob Clark ne cherche pas à creuser de ce côté-là. Il reprend comme point de départ la prière exaucée de la mère et le retour du fils en mort-vivant mais pour en faire une allégorie terrifiante sur les vétérans de la guerre.

Andy, ancien militaire abattu au Vietnam incarne ceux qui reviennent du front vivant mais psychologiquement détruit par les combats. D’abord aux anges à la suite du retour du fils prodigue, la mère déchante vite. Andy se montre asocial, mutique, préférant rester seul à se balancer sur son fauteuil dans le noir plutôt que de voir du monde. Plus aucune pulsion de vie ne semble l’animer. Mais ce silence est contrebalancé par des accès de colère soudains et violents car Andy est habité d’une rage incontrôlable qui semble trouver sa source chez ses contemporains.

Les rescapés qui retournent au pays sont des cadavres encore chauds ayant abandonné une partie de leur humanité au combat. Avec cette idée, le film peut aborder en filigrane toute la question du stress post-traumatique et des addictions (la manière dont Andy se nourrit est assez avant-gardiste pour l’époque), que déclenche le retour à L’american way of life. Bob Clark par petites touches écorne d’ailleurs cette image d’Épinal à mesure que Andy se transforme. Le mort-vivant repose sur l’ambiance et l’inexorabilité de son scénario. Une atmosphère tendue entre les silences de Andy et ses explosions de colère d’autant plus marquantes qu’elles ont souvent lieu à des moments où le spectateur n’est pas préparé. Bob Clark a aussi l'intelligence de filer la métaphore jusqu'au bout. Pas d'atermoiements dans le scénario, Andy se dirige implacablement vers la tombe. Dans un final grandiose le film s'arrête alors là où il aurait normalement dû commencer.

Si visuellement le film a pris un petit coup de vieux il reste tout de même une réalisation inspirée de Bob Clark (le dernier plan est magnifique) et un maquillage très efficace (pour l’anecdote il s’agit du premier film de Tom Savini, assistant sur le film).

Surtout, Le mort-vivant est très avant-gardiste. Il est l’un des rares films à être sorti pendant la guerre du Vietnam ce qui mérite d’être relevé. Bob Clark et le scénariste Alan Ormsby sont en avance et proposent avant Apocalypse Now et Voyage au bout de l’enfer (1979) un début de réflexion intéressant sur ce conflit qui nourrira tout un pan du cinéma. Là encore Bob Clark a posé sa marque en livrant un film inattendu et assez peu connu qui aujourd’hui encore marque par sa noirceur et son double sens de lecture.

L'échelle de Jacob

Sorti en 1990, l’Échelle de Jacob est un incontournable du cinéma d’horreur et fantastique souvent bien connu des cinéphiles.

Réalisé par Adrian Lyne, ce 6e long métrage est avant tout un OVNI dans la filmographie de ce réalisateur souvent honni par la critique mais aux succès populaires incontestables (Flashdance (1983), 9 semaines et demi (1986), Liaison fatale (1987)).

Arrive alors L’échelle de Jacob, son premier échec au box-office mais pourtant le film le plus intéressant de sa carrière. Une œuvre très singulière, à la fois film d’horreur et fable politique traversée par des fulgurances visuelles magistrales qui lorgnent du côté de Lovecraft et qui proposent aussi parfois des vrais moments de poésie.

Mais de quoi parle le film ?

Jacob Singer (Tim Robbins) est un soldat américain qui a combattu au Vietnam. De retour à la vie civile il reste hanté par des épisodes de guerre. Alors que les cauchemars se font de plus en plus oppressants il tente de comprendre ce qu’il lui arrive

L’échelle de Jacob est d’abord un film d’ambiance incroyable.

Le héros est traversé de délires terrifiants et se met à voir des choses qu’il ne devrait pas voir. Des visions lovecraftiennes qui participent beaucoup à cette atmosphère horrifique et que Adrian Lyne a choisi de représenter en utilisant des techniques de cinéma expérimental (travail sur le nombre d’images par secondes notamment) et non des effets spéciaux plus traditionnels réalisés en post production. Le résultant est sidérant et happe le spectateur dans les tourments de Jacob. A ces effets s’ajoutent des séquences très inspirées (la séquence de l’hôpital par exemple) qui déploient tout un imaginaire de cauchemar. Car en effet, Jacob semble bel et bien prisonnier d'une réalité qui le dépasse et plus il tente de comprendre ses perceptions moins il voit clair.

L’échelle de Jacob est une traversée à l'esthétique unique et impressionnante qui influencera beaucoup d’œuvres par la suite. On peut penser au cinéma de Balaguero ou à un jeu vidéo comme Silent Hill qui cite expressément le film comme source d’inspiration.

 

La mise en scène joue beaucoup avec des plans quasi-subliminaux, un d’éclairage permanent et parfois stroboscopique et un travail sonore qui brouille les repères habituels. Ses effets sont d’ailleurs accentués par un délabrement narratif qui perd le spectateur à mesure que Jacob se perd lui-même.

Ce voyage dans un cauchemar est l’un des premiers films à twist (avant Usual Suspects et Fight Club pour les plus célèbres) et reste souvent associé au brillant Angel Heart de Alan Parker sorti en 1987. Jouant habilement entre le rêve et la réalité, le film est pensé comme un puzzle et la seconde lecture révèle un film extrêmement bien réfléchi et ordonné.

Le film possède aussi un sous-texte fort puisqu’il sort à la fin de l’ère Reagan et qu’il choisit un traitement halluciné pour parler des effets post-traumatiques de la guerre. Un drame politique où Adrian Lyne utilise la mort comme révélateur (mais à un niveau différent du film de Bob Clark qui est beaucoup plus dans le premier degré) en plongeant cet ancien militaire dans une course contre la montre pour comprendre ses troubles et en tissant en toile de fond un complot gouvernemental.

Aprs le climax, Adrian Lyne relâche la tension et réussit à proposer des séquences empreintes de beaucoup de poésie. Un équilibre risqué mais qui paye. Le héros est alors souvent rapproché de Dante dans sa tentative de faire la paix avec lui-même. Les dernières séquences s’éloignent du chaos et proposent quelque chose d’inexorable mais de très apaisant. Rétrospectivement le film semble innervé par une certaine poésie. Tout cet aspect doit beaucoup à la musique épurée et très mélancolique de Maurice Jarre qui a priori tranche avec la forme du film mais pour mieux rejoindre le fond.

HOUSE par Mad Will

House est emblématique des années 80 pour le cinéphile qui a vécu l’avènement du cinéma fantastique en VHS. Cette série B est une « Madeleine de Proust » qui rappelle aux fans de films de genre, ses longues heures passées dans les rayons des vidéoclubs à choisir un film le plus souvent grâce à une jaquette allumeuse ou un résumé nous annonçant des guerres intergalactiques à n’en plus finir.

Il faut bien se l’avouer, une fois que la cassette était insérée, on se rendait compte très vite que le film était le plus souvent éloigné de nos attentes. Mais il n’était pas évident de sélectionner un film sur les étals d’un vidéo club à une époque où Internet n’existait pas et alors que seul Starfix faisait des revues des sorties VHS à l’aube des années 80.

Parmi les innombrables titres que l’on consommait alors, quelques petites perles nous restent en mémoire dont ce sympathique House , marquant à jamais notre inconscient cinéphilique. Ce long-métrage est signé par des artisans de la série américaine tels que Steve Miner à la réalisation, connu pour avoir signé Warlock, Sean S. Cunningham le papa de Vendredi 13 à la production ou enfin Fred Dekker au scénario connu pour le film The Monster Squad qui influencera Stranger Things. Le film est produit sous le pavillon de New World Pictures, la boite créée par Roger Corman.

Mais que raconte House :

Un écrivain divorcé, encore sous le choc de la disparition mystérieuse de son fils, vient habiter dans la maison de sa tante décédée il y a peu. Il décide de se remettre au travail et de commencer un nouveau roman, profitant de la quiétude des lieux. Peu à peu, des évènements étranges vont se manifester et doucement le faire basculer vers un côté obscur qu'il ne soupçonnait même pas.

Malgré un pitch qui évoque les films de maison hantée, House n’est nullement un film censé vous terroriser. En effet, le métrage de Steve Miner allie le surnaturel à des effets comiques, où les interventions des monstres de la maison sont source de quiproquos. À ce titre, le film fait beaucoup penser à Braindead avec ce héros malmené par les différentes entités qui rôdent dans la vieille maison.  Dans House , on se souvient de ce trophée de pêche ultra agressif ou de l’immonde créature en latex qui poursuit le héros et finit enterrée dans le jardin. Enfin comment ne pas évoquer cette gargouille ailée très «Harryhausenienne» que le héros affronte après avoir brisé la glace.

Dans ce film de boulevard fantastique, Miner gère ses effets comiques sans négliger le passif du héros, un ancien du Vietnam, grâce à une galerie de personnages sympathiques comme le voisin qui ne sont jamais caricaturés et moqués.

Entre deux scènes d’actions avec ses monstres en latex, House montre comment un personnage doit affronter son propre passé pour construire son avenir. La création artistique est vue ici comme un moyen d’exorciser ses démons.

House est donc un film fichtrement sympathique avec son bestiaire de monstres réalisé grâce à des maquillages en latex et autres effets optiques d’un autre temps. Servi par un casting motivé, réalisé par une équipe d’artisans, le film se laisse encore voir avec beaucoup de plaisir.

Moins dramatique que l’Échelle de Jacob ou Le Mort-Vivant , House montre que dans la série B de masse produite dans les années 80, la guerre du Vietnam restait les mémoires des artistes et du peuple américain.

Mad Will