À l’occasion de la sortie D’El Presidente , nous vous proposons un retour sur deux œuvres culte du cinéma fantastique Harlequin et Dead Zone . Deux films appartenant au panthéon du genre et qui nous proposent des portraits d’hommes politiques assez terrifiants.

HARLEQUIN de Simon Wincer

Harlequin est une œuvre que vous ne recroiserez pas de sitôt dans une salle de cinéma. Cette réalisation de Simon Wincer est symptomatique du fantastique Australien qui offrait un vrai regard sur le monde tout en s’inscrivant dans le cinéma de genre.  Que ce soit Mad Max, Pique-nique à Hanging Rock ou encore La dernière vague, le continent océanien nous a offert tant de grands moments de cinéma !

Harlequin n’est pas un film parfait, mais possède un charme fou grâce à son ambiance mystérieuse, sa réalisation et son univers fantasmagorique. Et je peux vous assurer qu’au crépuscule de votre vie de cinéphile, c’est une réalisation qui vous restera en mémoire tant elle s’avère singulière et profondément touchante.

Mais que raconte le film ?

Le fils du sénateur Nick Rast est miraculeusement guéri de la leucémie par Grégory Wolfe, un guérisseur aux pouvoirs extraordinaires. Wolfe apprend par ailleurs au sénateur que Wheelan, son principal soutien politique, le manipule à son insu mais Wheelan lui fait croire que Wolfe est un charlatan et le convainc de la nécessité de le supprimer...

Harlequin est signé au scénario par Everett De Roche. Les amateurs de fantastique connaissent bien le bonhomme qui a signé d’excellents scripts à la fin des années 70 avec Long Weekend (qui marquait la revanche de la nature sur l’homme), Patrick (et son H.P. en folie) ou encore ce Harlequin . À la réalisation, nous retrouvons Simon Wincer qui signe ici son second film après Snapchot (dont le scénario nous suggère que Nicolas Winding Refn avait sûrement dû voir le film avant d’écrire Neon Demon). Au casting, deux acteurs anglais se partagent l’affiche, David Hemmings bien connu pour Blow Up et Les frissons de l’angoisse et Robert Powell entraperçus par les spectateurs anglais sur des fictions TV dont une biographie de jésus signé Franco Zeffirelli. Si Hemmings est honnête question jeu d’acteur, Powell lui vole indéniablement la vedette dans son rôle de gourou. Multipliant les registres de jeux, il est tout bonnement extraordinaire, tant il arrive à vous inspirer la sympathie ou la peur dans la même minute. Vêtu de costume de clown, ou d’arlequin, il n’est jamais ridicule et trouve ici l’un des rôles de sa vie.

Cette adéquation de talents est au service d’un film singulier qui multiplie les genres avec une grande maîtrise. Porté par un amour sincère du fantastique, Harlequin établit un discours sur notre société qui ne se fait jamais au détriment de l’efficacité du récit. À ce titre, le film est très loin d’un Yórgos Lánthimos et de ses lénifiants discours (The Lobster, Mise à Mort du Cerf Sacré ) pour critique freudien aimant les œuvres surlignées.

Simon Wincer qui perdra une bonne part de son talent en rejoignant les USA avec des films comme D.A.R.Y.L., est en pleine possession de ses moyens de réalisateur. Le scope du film est impeccable, chaque plan est structuré et signifiant. Sa réalisation joue admirablement du mystère ne révélant jamais totalement les intentions des personnages. Comme le soulignait Lynch lors de la sortie de la 3ème saison de Twin Peaks, il n’est pas toujours indispensable de tout expliquer. Harlequin est à ce titre un film riche qui permet à chacun de vivre une expérience différente en tant que spectateur. Certains voient le film comme une dénonciation des jeux de pouvoir en mode commedia dell'arte, d’autres comme un film d’horreur et de magie, d’autres enfin comme une version modernisée de l’histoire du moine Raspoutine…

Une ouverture magistrale

En quelques plans, tout est dit grâce à l’art de la mise en scène et du montage. Le générique annonce l’intrigue à venir tout en exposant parfaitement les personnages et les enjeux du récit.  Sans aucune musique, les premières images sont celles d’un nageur qui va bientôt mourir sous les flots (introduction qui fonctionne parfaitement avec les images de fin). Puis le réalisateur utilise un montage alterné où l’on voit la prise de pouvoir du sénateur Rast sur le pays alors que se déroule au même instant la fête de son fils atteint de leucémie. Le montage alterne alors équitablement les deux séquences jusqu’au moment où le clown de la fête sort un paquet de jeu de cartes dont dépasse une carte où est peinte un joker vêtu en Harlequin . À cet instant le son de la séquence avec le sénateur résonne en arrière-plan.  Par l’intermédiaire de cette juxtaposition sonore, Wincer indique la prise du pouvoir du personnage de Wolf joué par Michael Powell et grimé en clown sur l’environnement intime de Rast. Et si le sénateur arrive finalement à l’anniversaire de son fils, il a perdu son pouvoir sur l’espace familial. 

Dès cette première séquence, le personnage de Wolf révèle à chacun sa nature profonde à la manière d’un personnage de la Commedia Dell' Arte. Tel un comédien arpentant les chemins de la vie, il nous fait le récit cruel de nos faiblesses, de notre humanité.

La séquence suivante confirmera cette situation. Le fils mourant du sénateur sera guéri comme par magie par Powell.  Au cours du récit, l’homme va prendre de plus en plus de pouvoirs devenant le père de substitution du garçon, l’amant de la femme abandonnée et bafouée, ou incarnant la morale du sénateur face à un entourage politique des plus nébuleux qui le place au pouvoir en qualité de pantin.

Une œuvre « culte »

L’étrangeté du film fait beaucoup pour son charme, les auteurs ne répondant jamais à la véritable nature d’Harlequin . L’aura mystérieuse de cette réalisation vient en effet de la représentation de notre monde comme un théâtre où Wolf est le roi. La riche villa abandonnée du sénateur fait alors irrémédiablement penser à une scène de théâtre (il n’y a aucune habitation autour, on dirait presque un plateau nu) où se joue le futur du pays.

Les ruptures de ton participent aussi beaucoup au plaisir ressenti devant le métrage. Suspens, manipulation… L’histoire est prenante. Harlequin est une œuvre pensée pour le public afin de le divertir à l’instar des œuvres théâtrales dont elle s’inspire.

Enfin comment ne pas évoquer le personnage de Doc Wheelan, l’opposant de Wolf et âme damnée de Rast ?  Il représente les puissants, ceux qui s’enrichissent grâce au système. C’est le personnage le plus contrarié par Wolf. Le faiseur de roi qui reste dans l’ombre et sera ainsi obligé de révéler sa nature d’assassin dans un final très réussi.

Un film riche, où même les noms ont une importance, comme pour Rast, une anagramme de Tsar. Un film extrêmement bien mené et riche de sens qui nous offre un final qui montre la véritable intention de Wolf. Une action pour le bien de l’humanité ? Ou sa destruction comme le laisse entendre le nom de Robert Powell ? À vous de réfléchir !

Poétique, politique, magique, porté par une magnifique partition de Brian May et bien interprété, Harlequin est un film culte d’une richesse incroyable à redécouvrir absolument !

Mad Will

 

DEAD ZONE de David Cronenberg

Sorti en 1983, ce 9e long métrage réalisé par David Cronenberg est sans doute l’un des films les plus marquants sur l’association entre le fantastique et le politique.

Après un terrible accident de voiture qui l’a laissé 5 ans dans le coma, Johnny Smith a développé une vision extra lucide : il est capable en touchant quelqu’un de connaître son avenir ou son passé. Au même moment dans la petite ville de Castle Rock, un tueur en série enchaine les victimes.

Dead Zone est une œuvre importante dans la carrière de Cronenberg.  Souvent citée comme son premier film grand public et américain, cette réalisation est également très intéressante en termes d’évolution narrative et de récit. Si la mise en scène reste sobre en comparaison du reste de sa filmographie (à l’exception d’une scène au ciseau où l’on retrouve la patte du maitre en 2 plans) c’est plutôt du côté du récit et de sa structure sur l’évolution morale du personnage que l‘œuvre séduit et que l’on peut retrouver les thèmes de Cronenberg (contamination du corps, nouvelle perception de la réalité) alors même qu’il n’a pas touché au script. En effet Dead Zone est un film de commande, piloté par la Paramount. À l’époque Cronenberg est auréolé du succès de Scanners mais a fait un four total avec l’incroyable Vidéodrome . Il accepte alors cette adaptation d’un roman de Stephen King produit par Dino de Laurentis et Debra Hill pour 10 millions de dollars. Le film en rapportera le double et donnera lieu à un téléfilm et une série dans les années 2000.

Le récit de King préfigure déjà son génial 22.11.1963 (même si au lieu de changer le passé le héros tente de modifier l'avenir) et aborde cette question classique de philosophie sur l’opportunité de tuer quelqu’un avant qu’il ne commette un crime.

Dead Zone travaille avec l’évolution morale de son personnage la question du don et de ses conséquences. Johnny Smith est un homme brisé qui a tout perdu après 5 années d’absence. Son corps est en miettes et cette faculté extra lucide qui le place au-dessus de ses semblables est un fardeau. La frontière entre clairvoyance et aliénation mentale est fine et notre Johnny Smith présenté comme une bête de foire finit par se réfugier dans la solitude. C’est sans compter sur le destin qui va placer sur sa route des événements tragiques qui remettront son pouvoir au centre de sa vie. La mise en scène très classique abrite un récit initiatique captivant qui vient confronter la vision du héros (déontologie/conséquentialisme) en lui opposant d’abord un tueur en série puis un politique démago et populiste dont l’impulsivité menace l’humanité.

Servi par un Christopher Walken très juste en medium tourmenté et par un Martin Sheen terrifiant en Trump avant l’heure, Dead Zone est un écho glaçant de notre époque qui vaut le détour pour sa structure dramatique impeccablement maitrisée et son final poignant.

Thomas