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Terreur dans le Shanghaï express témoigne de l’époque bénie des coproductions européennes durant laquelle le cinéma s’apparentait à une "Tour de Babel" où se réunissaient les talents de nombreux pays. Dans le cas du film qui nous intéresse aujourd'hui, l’équipe technique ainsi que le réalisateur Eugenio Martin sont espagnols alors que le producteur Bernard Gordon est un américain qui a fui le maccarthysme. Pour financer Terreur dans le Shanghaï express , Gordon a récupéré des capitaux anglais et espagnols tout en décidant de tourner dans le pays de Cervantes où il pouvait profiter de conditions économiques avantageuses. Un choix également lié à la possibilité de récupérer certains décors du long-métrage Pancho Villa d'Eugenio Martin. Ses économies réalisées par rapport à la fabrication du film, lui permettront de réunir un casting plutôt riche malgré un budget restreint de 300 000 dollars. Son idée de génie est ainsi d’avoir à nouveau réuni les célèbres duettistes de la Hammer, Peter Cushing et Christopher Lee qui se seront maintes fois affrontés dans les rôles respectifs de Van Helsing et du Comte Dracula. On note également la présence de Telly Savalas, acteur américain d’origine grecque connu pour son rôle de Kojak à la télévision et qui joua dans des longs-métrages tels que Les Douze Salopards . À l’image de nombreux comédiens américains dans les années 60 et 70, Savalas aura navigué entre les USA et l’Europe (surtout l’Italie) apparaissant dans les longs-métrages de Mario Bava, Corbucci ou de Sergio Sollima. Dans les seconds rôles, on notera la prestation de l’Argentin Alberto de Mendoza en moine fou. Un acteur qui aura tourné aussi bien avec Claude Sautet (L'Arme à gauche ) que chez Fulci (Le Venin de la peur ). Nous profitons également de la présence de la magnifique actrice d’origine allemande Helga Liné qui deviendra plus tard une égérie de Pedro Almodovar.

Comment tout ce beau monde pouvait-il jouer ensemble en raison de la disparité des langues, et surtout des accents ?

La réponse est toute simple. Comme dans la plupart des longs-métrages italiens de l’époque, les dialogues et la plupart des bruitages dans Terreur dans le Shanghaï express sont faits en postproduction. Un détail important qui explique le retard pris par les Italiens et les Espagnols dans le domaine de l’insonorisation des studios à la fin des années 70.  À ce titre, il est fréquent que les versions françaises, en raison de notre savoir-faire dans le domaine, soient parfois supérieures aux versions originales des films produits par l'Italie avant les années 80.

À l’image de son casting résolument hétéroclite, Terreur dans le Shanghaï express n’hésite pas à mélanger les genres. Par le biais des deux acteurs fétiches de la Hammer et le décorum victorien du train où se passe l’essentiel de l’action, on pense immédiatement au fantastique victorien de la Hammer. Mais les deux scénaristes du film (également des Américains blacklistés) intègrent aussi des éléments scénaristiques venant de la science-fiction, en s’inspirant de l’ouvrage Who Goes There? (Le ciel est mort, en France) de John W. Campbell Jr. Une novella adaptée par deux fois par au cinéma avec La Chose d'un autre monde d’Howard Hawks (qui n’est pas officiellement crédité) et The Thing de John Carpenter. Ainsi, le film reprend l’idée d’une entité extraterrestre plutôt agressive qui peut passer d’un corps à un autre comme dans le roman et la version de Carpenter. De la même manière, nous avons des personnages qui sont réfugiés dans un lieu clos en raison d’une nature inhospitalière que ce soit l’Antarctique dans The Thing ou bien la Sibérie que le train doit traverser dans Terreur dans le Shanghaï express . Vous retrouverez également dans le film, une horde de zombies et même un improbable capitaine cosaque tout droit sorti d’un western spaghetti de Sergio Leone.

Le résultat aurait pu être un gloubi-boulga difficilement regardable. Pourtant on prend beaucoup de plaisir devant cette série B en grande partie grâce à ces deux têtes d’affiche Christopher Lee et Peter Cushing. D’une classe folle et d’un professionnalisme sans égal, le duo fonctionne parfaitement à l’écran grâce à l’amitié indéfectible qui les liait bien au-delà du travail. Il faut savoir que Peter Cushing avait d’abord refusé de rejoindre le casting après la disparition de sa tendre et douce épouse. Mais Lee le poussa à accepter le rôle, convaincu que son ami ne devait pas s’isoler afin de retrouver le goût de vivre.

Il est clair que certains visuels du film ont largement dépassé la date de péremption, mais le réalisateur Eugenio Martin, à l’instar de ses acteurs, fait un boulot remarquable qui permet à l’ensemble de tenir la route. Sa gestion des espaces est plutôt subtile malgré l’étroitesse des décors, grâce à une caméra toujours dynamique. Il arrive en effet à trouver des angles de vue très originaux alors qu’il avait à sa disposition seulement deux wagons comme décors. Un dispositif qui l’obligera à tourner chaque scène dans une seule voiture afin de laisser les décorateurs changer les décors dans le second wagon pour la séquence suivante. Pour autant, à l’image, nous avons vraiment l’impression de naviguer dans un train comptant de nombreux compartiments, des espaces restaurations, une cabine de pilotage et même une remise pour les bagages volumineux. De plus la mise en scène de Martin est vraiment mise en valeur par la jolie photographie en clair-obscur d’Alejandro Ulloa, bien connu des amateurs de cinéma populaire européen grâce au Perversion Story de Lucio Fulci.

Si vous appréciez les films un peu « vintage » en matière d’effets spéciaux et les récits feuilletonnesques multipliant les péripéties sans tenir compte forcement du scénario, vous prendrez beaucoup de plaisir à regarder cette série B où les acteurs et l’équipe technique ont essayé de proposer le meilleur divertissement possible. Enfin, il est vraiment plaisant de voir Lee et Peter Cushing faire équipe alors qu’ils s’opposaient en permanence dans les films de la Hammer. De toute manière, Terreur dans le Shanghaï express ne peut être un mauvais film au regard de ce dialogue délicieux et plein d’ironie entre les passagers du train et nos deux héros.

Les occupants du train : Et si c’était vous les monstres ? On ne peut pas savoir !

Lee et Cushing ensemble : Impossible, nous sommes anglais.

Encore une fois, Shadowz nous permet de regarder une étrangeté du fantastique qui fut longtemps invisible sur nos écrans. Bravo à eux !

Mad Will