Quand on parle des grands maîtres du cinéma japonais, on cite facilement Ozu, Kurosawa, Miyazaki, Naruse, Ōshima mais s'il y en a un qui est systématiquement oublié, c'est Noboru Tanaka. Ce nom ne vous est probablement pas familier et pour cause : Noboru Tanaka était un réalisateur de films érotiques, de roman-porno pour être plus précis, mais ses films sont de la facture des plus grands. (lien https://asialyst.com/fr/2020/01/22/roman-porno-japon-attention-cinema-social-sulfureux/)

À la fin des années 60, le système des studios de cinéma japonais est en crise, le public se rend de moins en moins dans les salles et les maisons de production peinent à faire face. Pour contrer la télévision, le président de la Nikkatsu, le plus puissant studio japonais, décide de produire à plein régime des films érotiques en mettant des acteurs et des moyens techniques à la disposition de jeunes réalisateurs recrutés parmi les cohortes d'assistants sous contrat. Ces jeunes réalisateurs ont toute latitude concernant les scénarios ou l'image, la seule condition est d'inclure une scène érotique toutes les huit ou dix minutes. Il leur est demandé de tourner rapidement (en général trois semaines maximum) pour alimenter la nouveauté et réduire les budgets. Le virage vers le cinéma d'exploitation fonctionne, le public se rend en masse voir ce qu'il ne peut voir à la maison et le studio est sauvé.

Parmi ces jeunes gens bombardés réalisateurs, Noboru Tanaka est peut-être le meilleur. Il faut dire que le jeune homme a déjà travaillé auprès des plus grands (Akira Kurosawa, Seijun Suzuki ou encore Shohei Imamura) et que contrairement à certains collègues qui tournent des navets à la chaîne pour empocher des primes, il n'est pas prêt à transiger sur la qualité. Tanaka est un esthète de l'image dont la beauté et la réalisation n'a rien à envier aux films plus classiques. L'un des meilleurs exemples, c'est La véritable histoire d'Abe Sada, sorti en 1975, dont le scénario s'inspire d'un fait divers très connu au Japon qui voit une jeune femme, Abe Sada, s'enfuir avec le sexe coupé de son amant dans ses bagages.

Cette histoire, est déjà connue de nombreux amateurs de cinéma car il s'agit du même fait divers de 1936 qui a inspiré l’empire des Sens (1976) à Nagisa Ōshima. Toutefois, là où ce dernier représentait un couple d'une perversité sexuelle franchement crado, le film de Tanaka lui, s'attarde bien plus longuement sur la complexité des personnages et leur amour. De l'amour qui pousse à la jalousie, à la peur, à l'extrême, mais de l'amour avant tout. Et cette différence d'approche entre les deux cinéastes se ressent très nettement à l'écran. Là où l’Empire des Sens est un film sombre aux couleurs ternes, le huis-clos de la chambre de Tanaka est riche et colorée. Chaque plan de La véritable histoire d'Abe Sada est un tableau. Les décors sont travaillés et les accessoires laissés ça et là nous renseignent subtilement sur le quotidien des protagonistes. La musique quant à elle est souvent constituée de chansons traditionnelles, sorte de coryphée qui dépeint au spectateur l'avancée de l'action.

Bien entendu, les deux films étant basés sur le même fait réel, la trame du scénario ne change guère et la scène de fin est toujours une torture pour les spectateurs masculins. De plus les deux versions comportent des scènes très similaires car elles reposent toutes les deux sur les procès-verbaux de l'époque. D’ailleurs, Tanaka termine son film sur les coupures de journaux qui avaient couvert l'affaire. Cependant la version de Noboru Tanaka m'a subjugué par son romantisme et sa subtilité tandis que celle d'Ōshima, plus scandaleuse, m'a laissé de marbre. Une question de sensibilité personnelle.

Pour conclure, je vous invite donc vivement à être curieux et à découvrir qui, comme de nombreux autres films de son réalisateur, est un chef d'œuvre visuel bien trop méconnu. Avoir vu l’Empire des Sens n'est pas nécessaire car le film de Tanaka est sorti un an plus tôt, mais permet de comparer deux approches du même fait divers.

Une œuvre et un réalisateur à découvrir sur Universciné : https://www.universcine.com/films/la-veritable-histoire-d-abe-sada

Gwenaël Germain.