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Un opéra wagnérien dans le Bush australien. On pourrait de cette manière présenter Razorback , l’un des premiers essais pour le cinéma de Russell Mulcahy. Ce cinéaste australien a tout d’abord fait ses preuves comme monteur en Angleterre avant de devenir un réalisateur de clips essentiellement pour le groupe de pop Duran Duran. Quand il est contacté par Hal McElroy qui a produit en Australie les œuvres de Peter Weir telles que Pique-nique à Hanging Rock ou La Dernière Vague , il se dit que c’est une occasion unique pour se faire un nom dans le 7ème Art. Surtout que le producteur l’entoure de grands noms du cinéma local, que ce soit Everett De Roche au scénario, qui a signé parmi les meilleurs films de genre austalien comme Harlequin ou Long Weekend , ou bien encore le chef opérateur Dean Semler dont le travail sur Mad Max 2 et 3 a fait parler de lui bien au-delà de l’océan Indien ou Pacifique.

Si Razorback n’a pas été un gros succès en salles, il a tout de même  fait pas mal du bruit à Avoriaz et s’avérera un tremplin pour Mulcahy qui voit s’ouvrir les portes du cinéma américain. Il est en effet engagé pour tourner Highlander sur une musique de Queen. Quand on regarde Razorback , il semble évident que le réalisateur australien devait croiser la route du groupe qui a composé Bohemian Rhapsody. En effet, il partage avec celui-ci un goût pour les créations artistiques riches en détails, voir maniérées, qui font référence à l’opéra. En effet, s’il y a bien un cinéaste dont on pourrait qualifier la mise en scène d’opératique, c’est bien Mulcahy. Dans Razorback , il emploie des filtres dans la plupart des scènes. Il a également recours à de nombreux éclairages qui feraient passer le désert pour une boîte de nuit dans les scènes nocturnes. Ici le réalisateur ne cherche pas le réalisme, mais élabore, à la manière d’un scénographe dans le spectacle vivant, un univers visuel fait de textures et de couleurs. Nous sommes ici dans une expression plastique du monde ou l’artifice est roi. De la même manière, ses mouvements de caméra sont dignes d’un spectacle de danse avec une caméra qui tourne en permanence autour des acteurs. Chaque déplacement est ainsi très chorégraphié pour créer malgré les limites de l’écran, un effet de profondeur assez impressionnant. Enfin, pour nous faire changer de lieu par le biais du montage, Mulcahy fait le plus souvent passer un objet devant l’objectif de la caméra qui dissimule pendant quelques secondes le décor avant de disparaître et de nous révéler un nouvel environnement. Ce dispositif fonctionne comme le rideau dans le spectacle vivant, qui permet le changement de décor.

Le réalisateur fait preuve d’une audace formelle qui permet à son film de ne pas être un simple plagiat des Dents de la mer .  Là où Spielberg s’inspirait du cinéma classique avec une montée du suspens digne d’Hitchcock, Mulcahy crée un objet visuel où son sanglier géant agit comme un ange de la vengeance contre l’être humain qui ravage la nature. Une créature qui agit dans un univers qui rappelle parfois l’enfer sadomasochiste de Clive Barker. On pense ici tout particulièrement à cet abattoir où des humains sont suspendus à des chaînes à côté des carcasses d’animaux dans un bâtiment qui prend la forme d'une cathédrale où les murs sont couverts de sang.

À ce titre, Razorback n’est pas vraiment un film qui fait peur, mais plutôt un objet arty qui témoigne des expérimentations visuelles des années 80. Du côté du scénario, soyons clair, ce n’est pas le meilleur script d’Everett De Roche qui ici répond à une commande en adoptant un livre d’un scribouillard hollywoodien. Néanmoins, son scénario fait preuve d’originalité pour l’époque en faisant mourir ceux que l’on pensait être les héros comme dans Game of Thrones. Dans la lignée de son chef-d’oeuvre Long Weekend , Everett fustige assez violemment les enfants des anciens colons qui malmènent la nature. Enfin, Razorback compte des scènes d’errance mâtinées de croyances aborigènes qui donnent à ce film une atmosphère unique et propre à cette île peu peuplée qui est presque à elle seule un continent.

Objet filmique inclassable entre le Jaws de Spielberg et El Topo d'Alejandro Jodorowsky avec une pincée de Duran Duran pour la musique synthétique, Razorback est une œuvre à voir et revoir qui démontre que Mulcahy était peut-être le plus doué de tous les cinéastes venus du clip des années 80 grâce à une mise en scène opératique qui arrive à magnifier les scripts de Razorback et Highlander .

Une œuvre hautement recommandable à regarder chez notre partenaire Shadowz.

Mad Will