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Ah, les années 80, ces étals de vidéoclubs remplis de films qui faisaient rêver l'auteur de ces lignes ! Des noms de réalisateurs qui faisaient fantasmer le gamin que j’étais alors, qui traquait sans relâche les rayons à la recherche du moindre Carpenter ou Steven Spielberg. Une passion née dans une galerie marchande d’un Continent dans l’ouest de la France qui allaient me mener quelques années plus tard à écrire sous le pseudo de Mad Will des critiques de cinéma. Une époque où l’on découvrait parfois par hasard des perles du fantastique comme le réjouissant Vampire, vous avez dit vampire ou Le secret de la pyramide. Si le cinéma était rentré dans les salons par l’intermédiaire de la VHS, une autre révolution venait de pointer son nez : le micro-ordinateur. En effet, que ce soit l’Apple II, les ordinateurs Amstrad comme le CPC 6218, l’informatique arrivait dans les foyers.  Si le cinéma avait abordé depuis très longtemps la place l’ordinateur, que ce soit dans 2001 ou Le Cerveau d'acier de Joseph Sargent, les années 80 vont nous montrer véritablement un outil informatique qui ne se limite plus à la science-fiction et qui vient s’immiscer dans le quotidien. Ainsi arriveront dans les salles, des longs-métrages tels que le touchant La belle et l’ordinateur (Electric Dreams), Tron produit par Disney, Une créature de rêve de John Huges et sa créature fantasmatique qui allait enfanter la série Code Lisa ou le méconnu Profession: Génie que j’avais traité dans un retour précédemment. Dans les années 80, on sent véritablement les cinéastes de l’époque se posaient la question de la présentation de l’ordinateur en essayant de l’intégrer dans leur fiction tout en essayant de rendre compréhensible l’informatique pour les spectateurs de l’époque dont la plupart n’avaient jamais appuyé sur une touche d’ordinateur.  Je vous propose donc  de revenir sur un film emblématique de cette décennie WarGames signé par John Badham. Un réalisateur trop vite oublié dont les premiers films étaient de vraies réussites comme son Dracula avec Frank Langella, son film musical La Fièvre du samedi soir ans oublier son Tonnerre de feu ou bien encore Étroite Surveillance, un bijou de la comédie policière sur lequel un jour je reviendrai.

Mais que raconte le film ?

David Lightman est un adolescent passionné d’informatique qui réussit à prendre le contrôle d’un super ordinateur de l’armée. Convaincu de jouer à un jeu en ligne, David entame une partie de guerre mondiale sans savoir que les actions de l’ordinateur impactent la réalité. Croyant que les Russes préparent la guerre, les Américains se tiennent prêt à toute éventualité et envisagent même de frapper les premiers…

WarGames cristallise les fantasmes des années 80, décennie magique qui a vu arriver en force Macintosh et Microsoft et les promesses qu’ils offraient. Aujourd'hui, le film dégage un sentiment de douce nostalgie parce qu’il incarne ce virage dont on mesure à peine la manière dont il a changé nos vies. Mais ce sentiment est diffus, en filigrane, puisque la réalisation de Badham ne part pas trop loin dans l’imaginaire, au contraire, la force du scénario vient surtout de son réalisme. Plutôt que de jouer la carte de l’anticipation, l’histoire préfère tabler sur une folie humaine séculaire, un sujet assez intemporel et d’autant plus d’actualité à l’époque puisque le contexte est à la guerre froide. WarGames n’est ni plus ni moins qu’un tableau de l’état géopolitique du début des années 80 mais noirci avec une touche de technologie. Si le superordinateur est un artifice, les fantasmes de l’intelligence artificielle et la peur de l’holocauste nucléaire qui forment la toile de fond ne sont pas de la fiction. Avec quelques très bonnes idées de mise en scène, comme le fait que l’on ne voit jamais les Russes pourtant les premiers concernés, que l’ordinateur incarne une sorte d’ennemi invisible ou encore que pour gagner la guerre mieux vaut ne pas jouer, WarGames évoque la peur de tout confier aux machines, les difficultés de communication entre les humains et les comportements individuels qui impactent le monde.

WarGames est un divertissement intelligent à l’ambiance hybride qui oppose au suspens et à la tension, la candeur et la ténacité d’adolescent de Matthew Broderick. Et c’est assurément l’une des grandes forces du film. Le couple qu’il forme avec Ally Sheedy, que l’on retrouvera également plus tard chez John Hughes, donne une atmosphère Teen movie qui transforme la peur de l’holocauste nucléaire en une aventure excitante de gamin dépassé par son talent. Le jeune David, obsédé par les ordinateurs et beaucoup moins par les cours, incarne en effet les débuts du hacking et se pose donc en une sorte de père spirituel de Elliot Alderson (Mr Robot). Wargames démarre comme un film de guerre avec ces deux militaires chargés de déclencher le lancement d’ogives et place son idée dès le début : la machine comme pièce d'un engrenage mais également comme grain de sable. Passé l’ouverture et la mise sous tension du spectateur à qui l'on rappelle qu’appuyer sur un bouton permet d’éradiquer 90% de la planète, John Badham vient brosser le portrait de nos jeunes adolescents. Dès lors le film gardera cette alchimie en équilibrant la pression de l'action avec l'innocence de ses jeunes héros.

En plus de son scénario qui lui vaudra une nomination aux Oscars en 84, WarGames propose un prétendant sérieux au panthéon cinématographique des I.A. dangereusement trop conscientes d’elles-mêmes. Les efforts répétés de Joshua pour éradiquer l'humanité le place au coude-à-coude avec ce bon vieux Hal 9000 de Kubrick.

WarGames est surtout un film en phase avec l’actualité de son époque. Les auteurs du film ne pouvaient être au courant, mais l’holocauste nucléaire a bien failli se passer en 1983 l’année de sortie du film en raison d’un système informatique défaillant. Si je vous écris aujourd’hui cet article avec Thomas, c’est grâce à un homme Stanislav Petrov. Cet officier travaillait au sein d’un bunker secret censé récupérer les informations des satellites russes et prévenir d’une attaque nucléaire américaine. Le 26 décembre 1983, il reçoit une alerte de la part du système informatique d'alerte antimissile Krokus qui lui annonce que les USA ont envoyé des missiles sur l’URSS. Alors que ses collègues deviennent fous et son supérieur cuve, l’homme va faire une chose impensable en URSS. Il décide de ne pas prévenir le Kremlin, qui est dirigé par une classe politique bonne pour la gériatrie et qui aurait sûrement riposté en bombardant l’occident de missiles nucléaires. L’homme est convaincu que le système informatique qui récolte les informations des satellites russes est défaillant. Selon lui, les Américains sachant la répercussion de leurs actes n’enverraient pas seulement 4 missiles sachant que l’URSS en retour détruirait l’Europe et une bonne partie des USA. Il va donc contredire tout ce que lui disent les écrans et les machines, mais aussi ses ordres. Pour lui, ces missiles n’existent pas. Après 20 longues minutes et sous la hourra de ses camardes, son jugement s’avère avoir été le bon :  pas une trace d’attaque américaine ! Après enquête, il sera prouvé que le système russe de défense  fonctionnait mal. Les Soviétiques tairont l’affaire, refusant de reconnaître que le système d’alerte a confondu des missiles avec des rayons de soleil reflétés par les nuages.

Porté par la mise en scène ultra dynamique de Badham, le film alterne parfaitement les scènes d’action et les séquences plus réflexives avec un sens du tempo vraiment impressionnant. On peut ainsi regretter que Badham soit devenu en fin de carrière un réalisateur de télévision tant sa mise en scène a permis au film de parfaitement passer les années. Le cinéaste anglais ne nous donne jamais à voir les habituels clichés autour de l’informatique avec ces lignes de codes qui ne veulent rien dire ou ses plans sur des doigts qui pianotent à toute vitesse en mode Chopin sous amphétamines. Ainsi, le centre de commande que l’on aperçoit dans le film ne semble pas ringard grâce à une direction artistique qui mise avant tout sur la simplicité. Badham va également utiliser les écrans du centre militaire, non pour afficher des lignes de textes, mais pour afficher des éléments dramatiques telles les cartes qui annoncent la destruction à venir ou le jeu de morpion qui permettra d’arrêter la folie guerrière de l’intelligence artificielle. Les interfaces visuelles fonctionnent de la même manière qu’un splitscreen découpant l’image en plusieurs actions.  Badham ne tombe pas dans le piège du film qui aurait voulu mettre dans chaque plan les objets technologiques de son époque pour paraître moderne et branché. C’est ainsi qu’on regarde toujours avec autant de plaisir WarGames plus de trente ans après sa sortie.  Après avoir réalisé le meilleur film disco, Badham nous propose tout simplement l’un des meilleurs films geeks de l’histoire du cinéma avec son héros au physique filiforme qui annonce le Zuckerberg de Social Network.

Mad Will et Thomas