Avec son nouveau film L'homme fidèle , Louis Garrel signe une ode à l'insoluble mystère amoureux.

 

 

Abel (Louis Garrel) aime Marianne (Laetitia Casta) qui aime Paul, dont elle est enceinte. L’homme fidèle s’ouvre sur cette annonce, qu’Abel encaisse sans broncher. Sa petite amie attend un enfant de son meilleur ami, ainsi soit-il. Dix ans plus tard, Abel et Marianne se retrouvent au cimetière où l’on enterre Paul brutalement décédé. Abel réintègre la vie de Marianne aussi rapidement qu’il l'a quittée des années auparavant, mais il doit désormais la partager avec son fils Joseph (Joseph Engel). Le garçon reste dubitatif devant cette union mais se confie à son nouveau beau-père : il pense que sa mère a tué son père parce qu’elle avait un amant. La comédie dramatique prend alors des airs de thriller quand Garrel imagine son amoureuse en veuve noire.

Une autre prédatrice le guette, c’est Eve (Lily-Rose Depp), la sœur du défunt Paul, obsédée par la beauté d’Abel depuis l’enfance. Désormais majeure, elle est bien décidée à enfin assouvir son fantasme. Alors elle suit Abel dans la rue, jusqu’à son travail, pour lui avouer ses sentiments. Elle informe aussi Marianne de son intention de conquête : “c’est la guerre et on verra bien qui la gagnera”. Mais Marianne n’est pas d’humeur au combat et conseille elle-même à son amant de céder aux avances de la jeune fille, quitte à s’installer chez elle quelques temps.

 

 

L’homme est fidèle puisqu’il n’est en réalité engagé nulle part, est n’est que l’instrument de deux femmes qui questionnent leurs désirs. Eve sort de l’adolescence et découvre que réaliser un fantasme c’est le piétiner : jamais l’amour qu’elle porte à Abel ne pourra être aussi fort que quand elle se contentait de le rêver. Grandir c’est chasser les illusions dont l’enfance est bercée. Marianne l’a bien compris et puisqu’elle sait qu’Abel est attiré par la jeunesse d’Eve, elle préfère elle-même le pousser dans ses bras pour gagner la bataille : en dictant l’adultère de son partenaire, elle en devient maîtresse absolue.

Le triangle amoureux était déjà l’objet du premier film de Louis Garrel en tant que réalisateur Les deux amis (2015), mais l’exploitait plutôt pour badiner autour de l’amitié. Dans l’Homme fidèle, le triangle (ou plutôt le rectangle, si l’on y ajoute Joseph qui lui aussi voudrait bien avoir sa maman pour lui) est prétexte à explorer les vanités amoureuses.

 

 

Louis Garrel baptise son personnage Abel, comme dans Les deux amis, non pas par manque d’imagination mais par volonté de faire voyager son personnage d’un film à l’autre, comme Arnaud Desplechin et son Paul Dédalus, et ainsi suggérer que les films d’un même auteur peuvent s’imbriquer l’un dans l’autre sans pour autant en être la parfaite continuité.

De petits principes empruntés à des metteurs en scène, le jeune réalisateur (mais “vieil” acteur : 37 films à son actif) Louis Garrel en a d’autres : la voix off de François Truffaut, la femme fatale (Laetitia Casta) d’Alfred Hitchcock, mais aussi l’envie de faire de sa femme à la ville une actrice à la scène, comme Jean-Luc Godard et Anna Karina… Pourtant Garrel fils dessine sa propre personnalité de cinéaste et évite de tomber dans un pastiche de nouvelle vague et, même s’il en porte bien évidemment l’héritage, il s’amuse à le remettre au goût du jour. Eve est un personnage résolument moderne, une gamine avide de devenir une femme, déjà maquillée, en talons hauts, reine des réseaux sociaux, prête à tout pour connaître le sexe. Le choix de Lily-Rose Depp relativement récente sur le grand écran s’oppose judicieusement à celui de Laetitia Casta, l’icône absolue de l’an 2000, à qui l’on donne ici son plus beau rôle. Entre ces deux dangereuses sirènes Louis Garrel ne se noie jamais et conserve l’aisance et l’agilité qu’on lui connaissait déjà. Le film est court (1h15) mais dense, réglé comme du papier à musique (avec le scénariste Jean-Claude Carrière en renfort) dont chaque note et soupir composent une charmante ode à l'insoluble mystère amoureux.

S.D.