Le film en VOD : LIEN

C’est donc avec un plaisir à peine dissimulé que je vais évoquer un nouveau film d'Álex de la Iglesia qui avait signé les réjouissants El Bar , mi gran Noche ainsi qu’Action Mutante. Son cinéma est toujours un enchantement pour le cinéphile déviant en recherche de comédies cinglantes, où l’humour caustique se mêle à une maîtrise technique absolument remarquable. Étudiant en philosophie avant de fouler les plateaux de cinéma, le réalisateur espagnol n’a jamais cessé de discourir sur une Espagne engluée dans un traditionalisme moral hérité du catholicisme et un consumérisme forcené depuis son entrée dans l'U.E.. Son drolatique thriller sur lequel nous allons revenir aujourd’hui, Le Crime farpait est à voir et à revoir tant il compte parmi les réussites de son auteur.

Mais que raconte Le Crime farpait ?

Dans un grand magasin. Rafael est sans conteste le vendeur le plus séduisant de la boutique. Toutes les filles du coin sont folles de lui, notamment Lourdes, vendeuse au rayon parfumerie, qui rêve vainement de se blottir entre ses bras virils. Un jour, un différend entre Rafael et un collègue rival tourne au drame : Rafael tue l'homme, sous le regard incrédule de Lourdes. Aussitôt, la jeune femme imagine un plan diabolique : faire chanter Rafael pour qu'il se prête à ses désirs. Un jeu pervers et dangereux s'enclenche entre Lourdes et Rafael...

Rafael est la quintessence de l’égocentrisme de nos sociétés actuelles et ce n’est pas un hasard si le réalisateur ibérique nous l’introduit avec un "aparté" où le personnage  s’adresse à nous directement. Dès l’ouverture, il va prendre littéralement en otage la caméra dans les scènes qui se passent dans le grand magasin. Dans cet univers où il est le champion de la vente, il agit comme un metteur en scène qui régle un spectacle à la gloire de la médiocrité avec une caméra qui tourne tout autour de lui avec une maestria extraordinaire. De la Iglesia recourt à des plans à la steadycam (caméra portée avec des déplacements extrêmement gracieux et très chorégraphiés) où les personnages agissent et se déplacent en fonction du héros du film.

Ce petit théâtre de la médiocrité va prendre fin avec un élément perturbateur qui entraînera la chute sociale du héros.Tout commence avec la vente forcée d’un manteau en vison qui conduira à un chèque en blanc signé par une cliente rêvant d’exister dans un monde d’apparence. Iglesia vise ici implicitement son pays qui a acheté à crédit une réussite économique qui le conduira à la crise des subprimes. Le chèque sans solde va entraîner la rétrogradation de Rafael qui va à présent recevoir les ordres d’un vendeur nanti d’une moumoute et qui vend des cravates ringardes. C’est une situation insupportable pour un homme qui pense être la quintessence du bon goût. La chute sociale l’amènera alors à tuer accidentellement son opposant, l’entraînant dans une série d’actions où il perdra totalement le contrôle.  La caméra si complice au début du film va devenir alors écrasante avec des prises de vue en plongée ou en contre-plongée. De la Iglesia va souvent employer une longue focale (profondeur de champ limité) alliée à un grand-angle. Subissant le chantage de Lourdes, la mise en scène montre que le héros du film a perdu toute perspective et se retrouve littéralement écrasé par un destin portant une gaine et des semelles compensées. Le réalisateur va aussi user du travelling compensé cher à Hitchcock où la caméra opère un travelling avec un zoom qui va dans le sens opposé. Cet effet très présent dans Psychose ou Vertigo montre un personnage cadré toujours de la même manière avec un décor qui derrière se déforme. Le réalisateur signifie que Rafael a perdu toute prise sur le monde qui l’entoure et plonge dans la folie.

Ce qui est admirable avec Le Crime farpait, c’est l’absence de manichéisme dans l’histoire racontée alors que nous subissons chaque semaine des comédies bien pensantes venues d’outre-atlantique ou de l’hexagone. Si Rafael est un beau salaud, les autres protagonistes autour de lui ne sont pas forcément mieux. Ainsi le personnage de Lourdes au physique disgracieux ne trouve pas plus grâce aux yeux du réalisateur qui nous montre qu’elle n’est pas amoureuse de Rafael. Elle souhaite seulement posséder le mâle alpha du magasin qui lui préférait des filles plus jolies. Le crime Farpait nous donne à voir sur l’écran le règne du chacun pour soi, où la fin justifie toujours les moyens. Il faudra alors une mort symbolique d’un des personnages pour délivrer le héros du diktat des apparences. La conclusion du film qui met en scène une mode clownesque montre l’absurdité d'une société du paraître qui repose sur un phénomène de mode totalement grégaire.

Le Crime farpait réussit une fois encore le mélange des genres avec une aisance assez impressionnante propre à son auteur. Dans le film, on a de la comédie satirique avec un match de l’Atlético de Madrid où le héros accompagne le père narcoleptique de Lourdès, du cinéma gore avec une découpe d’être humain au couteau de boucher ou du film catastrophe avec un final qui rappelle La tour Infernale. Cinéaste de l’action qui propose toujours des films s’appuyant sur un rythme effréné, de la Iglesia réussit grâce à la minutie de ses cadrages et la fluidité de ses mouvements d’appareil à nous émouvoir, nous faire rire et parfois nous dégoûter d’une scène à l’autre.

Maîtrisé techniquement, féroce et jamais limité par une morale bien pensante, Le Crime farpait réussit tout ce que la comédie paresseuse et beauf française ne parvient jamais à nous proposer avec sa mise en images indigne d’un téléfilm et ses gags éculés. Le réalisateur espagnol adore mettre des personnages ignobles qui prennent la plupart du temps le plus mauvais chemin pour parvenir à leurs fins. En ne tombant jamais dans le politiquement correct, en ne faisant jamais de ses personnages des héros, personnages au caractère antipathique qui adoptent un comportement grotesque, le réalisateur fait ce film une perle de comédie.

Déjantée, corrosive et portée par une mise en scène de haute volée, je vous invite à découvrir ou redécouvrir cette perle du cinéma du cinéma espagnol.

Mad Will