Que raconte la série Le Maître du Haut Château ?

En 1947, les États-Unis ont capitulé face à l'Empire du Japon et l'Allemagne nazie, après le largage par ces derniers d'une bombe A sur Washington D.C.. Le territoire américain est alors divisé en trois espaces distincts : le territoire qui s'étend de la côte est jusqu'aux Montagnes Rocheuses forme le « Grand Reich Nazi » (« Greater Nazi Reich »), dont la capitale est située à New York et où se trouvent les bureaux de l’Obergruppenführer John Smith ; les Rocheuses forment la Zone Neutre (« Neutral Zone ») ; enfin, des Rocheuses à la côte ouest se trouvent les États du Pacifique, sous autorité japonaise, la capitale se situant à San Francisco où siègent le ministre du Commerce Nobusuke Tagomi et l'inspecteur en chef de la police militaire (« Kenpeitai ») Takeshi Kido.

La série est disponible sur Amazon Prime : Saison 1 / Saison 2 / Saison 3

La série X-Files de Chris Carter a été quand même un sacré vivier de créateurs en lançant la carrière de scénaristes tels que Vince Gilligan connu pour Breaking Bad, l’une des séries les plus marquantes de la télévision. À l’époque, notre cher Vince travaillait aux côtés d’un autre scénariste Frank Spotnitz avec lequel il créera même une série dérivée de X-Files : The Lone Gunmen. Quand nos agents du FBI raccrochèrent, le nom de Frank Spotnitz apparut au générique de shows tels que Le transporteur adapté du film de Besson ou Night Stalker. Le bonhomme qui entre-temps a été professeur d’audiovisuel en Allemagne est appelé par Ridley Scott sur l’adaptation du Maître du Haut château. Son expertise de vieux routier de la télévision est nécessaire pour relancer un projet sur lequel de nombreux scénaristes se sont cassés les dents. Frank reprend les choses en main et l’écriture du Maître du Haut Château est finalisée. Malheureusement, la série ne trouve pas de diffuseurs en raison de son ambiance anxiogène. Alors que la production va perdre les droits du roman eponyme de Philip K. Dick, un deal est signé avec le nouveau venu Amazon qui souhaite proposer une série phare pour son service de vidéos à la demande.  Le projet est enfin lancé et la saison 1 arrive sur Prime vidéo. C’est le premier véritable succès public et critique outre-Manche pour Amazon.

Le Maître du Haut Château est une uchronie qui prend comme point de départ un évènement historique qu’il modifie pour imaginer les conséquences possibles.  La série comme le roman met en scène une défaite des USA face au Japon et l’Allemagne nazie après l’assassinat réussi de Roosvelt en 1933 par Giuseppe Zangara. Avec cette série Frank Sponitz accède à la reconnaissance. Il a en effet réussi à mettre en images un roman considéré inadaptable en raison d’une construction dramatique sans véritable intrigue. Pour autant, Frank Spotnitz va claquer la porte durant la saison 2, se déclarant en désaccord avec les choix dramaturgiques d’Amazon. Il laisse ainsi la série sans chef à bord et pousse la firme américaine à choisir un nouveau showrunner en la personne d’Eric Overmyer pour la saison 3. Le changement du scénariste n’a pas altéré la qualité de la série qui nous propose ici sa saison la plus réussie. En effet en engageant l’un des anciens scénaristes de The Wire  ou Boardwalk Empire, Amazon laissait ce Maître du haut château  entre de bonnes mains.

Adapter n'est pas imiter

Proposer une oeuvre audiovisuelle qui s’inspire du Maitre du haut château est une gageure tant l’œuvre Dickienne est par essence littéraire avec un récit qui a pour vocation de déstabiliser le lecteur en le faisant douter même de la réalité du livre qu’il tient dans ses mains. L’ouvrage qui avait obtenu le prestigieux prix Hugo (la référence en matière de science-fiction littéraire) s’apparentait à un essai métaphysique qui posait avant tout la question :  "Qu’est-ce que la vérité ?" (Je ramasse les copies dans 4 heures !). Le roman était avant tout un vertige existentiel où l’auteur montrait une grande culture historique en proposant une uchronie détaillée sur la côte ouest des USA vivant à l’heure japonaise.

Dans sa version littéraire, Le maître du Haut Château construisait son récit à partir de plusieurs histoires qui s'entremêlaient sans que les personnages se rencontrent. Pour permettre une identification des spectateurs aux « héros » de la série, Frank Sponitz fait de Juliana (présente dans le roman) le personnage principal. Ainsi, elle rentre en contact avec tous les protagonistes de la série et sert de liant entre les différentes intrigues. La grande force de cette série, ce sont ces personnages qui sont parmi les mieux écrits de la fiction américaine d’aujourd’hui. Chaque homme ou femme qui apparaît à côté de la jeune femme a un background développé et évolue au cours des 3 saisons. Ils ne sont pas de simples marionnettes dans les mains d’un scénariste démiurge, mais des êtres humains qui nous ressemblent beaucoup et dont les réactions nous paraissent logiques surtout dans la deuxième et la troisième saison. 
Si la série recourt à un triangle amoureux dans les premiers épisodes avec une Juliana un peu trop parfaite, les scénaristes éludent rapidement ces questions de coeur et montrent les catastrophes causées pas les actions de la jeune femme. De plus, la saison 2 explique la bonté de Juliana dans ce monde crépusculaire par les propos du personnage qui se fait appeler Le maître du Haut Château.

Le maître du haut château a nécessité des moyens importants en termes de décors et d’effets spéciaux pour rendre crédible cette uchronie à l’écran. Les modifications apportées au roman sont liées en partie aux contingences économiques qui ne permettent pas de produire une oeuvre métaphysique qui coûte la bagatelle de 100 millions de dollars à Amazon. Surtout quand l’épisode pilote est soumis à un vote du public pour savoir si la série sera produite. Le recours à une figure héroïque avec Juliana ou la mise en place d’intrigues sentimentales dans la première saison ont été aussi jugés nécessaires pour donner un peu de répit et d’espoir au sein d’une série très noire qui dresse un portrait peu flatteur de la nature humaine.  Le roman de K. Dick est une oeuvre essentielle du 20 ème siècle qui montrait la puissance des idéologies et la nécessaire remise en cause au nom de la vérité. La série s’apparente plus à un récit d’espionnage en mettant en scène une résistance dans la première saison. Dans la seconde saison, c’est le contexte politique qui prend une grande place. La troisième saison disponible depuis quelques semaines sur Amazon, est plus proche du roman avec un récit qui revient à la science-fiction.

La série développe brillamment ce qui était simplement évoqué dans le texte. Ainsi nous découvrons le fonctionnement de la côte est  États-Unis qui est dominée par les Allemands à travers le personnage d’officier SS américain John Smith. Ce portrait glaçant du Reich version USA enrichit beaucoup l’univers fictionnel partagé par le roman et la série. Dans un paysage télévisuel dominé par les fictions « doudou »  pensées pour réconforter le spectateur, cette fiction adulte devient indispensable quand le totalitarisme pointe son nez en Europe ou en Amérique du Sud.

J’adore le roman quand il nous immerge dans les pensées de ces personnages et nous parle de la notion de vérité. J’aime la série pour son ambiance, sa manière de montrer l’absurdité de la machine nazie sans recours au manichéisme. Les deux médias ne s’imitent pas, ils ne sont pas antagonistes, ils se complètent parfaitement.

L’esthétique de la série est une référence en matière de visuel à la télévision avec une photographie crépusculaire qui élimine les couleurs vives pour nous proposer une image rappelant le film noir. Ainsi, la lumière dans la série joue beaucoup sur les clairs-obscurs afin de signifier que ce mal ou le bien sont dans chaque homme. De même, la mise en scène soignée et relativement classique évite toute grandiloquence ou esthétisation outrancières qui auraient été mal venues au regard des thèmes abordés tels que l’eugénisme ou la politique raciale. Il faut également souligner le travail absolument remarquable des équipes artistiques qui arrivent à rendre plausible l’uchronie mise en scène dans cette fiction. Les années 60 qu’ils ont recréées sont assez semblables à celle que nous avons connues mais revues dans leurs moindres détails par la doctrine nazie ou le Japon impérialiste. Le maître du haut Château est une série ou chaque élément de décors est très soigné que ce soit cette lampe en forme de croix gammée à peine visible au fond du champ où ces photos épinglées de résistants sur le mur d’un bureau. 

Cette série dont le récit s’articule autour de nombreux personnages se caractérise par une direction d’acteurs solide. Acteur de cinéma, Rufus Sewell y trouve le rôle de sa vie en officier SS. Cary-Hiroyuki Tagawa que l’on a vu entre autres dans Mortal Kombat est excellent dans le rôle du très distingué ministre Tagomi. Concernant les autres acteurs qui n’étaient pas particulièrement connus et qui avaient évolué dans des feuilletons de seconde zone, ils sont très bons. Il n’y a pas de maillon faible dans le casting même si le rôle principal de Juliana semble parfois lourd à porter pour Alexa Davalos.

Une intéressante relecture du classique de Philip K. Dick que je vous invite à découvrir à l'occasion de la sortie de la troisième saison. Cette série  montre que le service de SOVD d’Amazon peut compter sur des titres forts qui n’ont rien à envier à celui de son concurrent Netflix.


Mad Will