Action mutante, le premier long-métrage d'Álex de la Iglesia, confirme que le réalisateur ibérique est bien un auteur au sens où la critique française l’entend, avec un univers et des thématiques communes à toute sa filmographie.

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La critique :

Découvrir Action mutante, c’est suivre les premiers pas d'Álex de la Iglesia, cinéaste iconoclaste, qui s'est révélé à la fin des années 90 avec des brûlots punks tels Le Jour de la Bête ou Perdita Durango .  Le réalisateur espagnol est un franc-tireur du cinéma européen à la technique cinématographique exemplaire qui enchante le cœur des cinéphiles déviants depuis de nombreuses années avec des films où le mauvais goût est au service de scripts acerbes sur l'état de nos sociétés. Je vous propose d’aborder sa première réalisation en essayant de comprendre ce qui fait l’originalité et la verve de cet auteur à part entière du cinéma européen.

Mais que raconte le film ?

Dans le futur, la société ne prend en compte que les personnes favorisées et marginalise toutes les autres. Action mutante, un groupuscule réunissant des personnes handicapées, décide de passer à... l'action. Emmené par Ramon Yarritu, le groupe kidnappe la fille d'un riche industriel...

Ce qui frappe d’emblée dans le film, c’est sa méchanceté. Tout le monde en prend pour son grade et aucun des personnages ne trouve grâce aux yeux du réalisateur. Dans Action mutante, la société future est obsédée par les apparences. La beauté et l’argent sont devenus les seules normes acceptables. Álex de la Iglesia prend un plaisir énorme à nous offrir un miroir grossissant de notre civilisation du paraître qu’il dégomme à coups de fusil à pompe au sens propre comme au figuré. La fête de mariage au début du film, qui ressemble à un mauvais défilé de Jean Paul Gaultier, nous présente une race humaine grossière, futile et méprisante envers les plus faibles. L’arrivée du groupe terroriste constitué d'handicapés qui dézinguent avec jubilation le public est alors vécue comme libératrice par les spectateurs qui ont dû pendant de longues minutes supporter la suffisance et la bêtise des invités de la cérémonie nuptiale. Il faut être beau, riche et surtout « con » dans le monde dépeint par le cinéaste espagnol.

Le réalisateur fustige également la presse qui est faite par des minables au service d’une pensée unique qui exclue les moches, les boutonneux, les unijambistes ou tous ceux qui ne correspondent pas à une société normative excluant toute différence. Comment ne pas sourire devant cette présentation "oh combien hilarante" des terroristes par le présentateur télé qui insinue que Chipa, l’un de membres du gang des handicapés est le pire de tous, car il est nain bossu, juif, franc-maçon, communiste et présumé homosexuel. Quant aux forces de l’ordre, le réalisateur ibérique nous les montre comme des pantins dont l’objectif est seulement la répression pour garantir le pouvoir aux nantis . Dans la première partie du film, on s'amuse à les regarder en arrière-plan matraquer sans arrêt les gens sans motif valable. Mais dans cette farce cinglante, même les supposés héros handicapés ne sont pas mieux traités que ceux qu’ils pourchassent. D’une bêtise crasse, ils sont incapables de faire une action sans massacrer des dizaines d’innocents. Envieux, ils se foutent totalement de la cause et souhaitent avant tout récupérer de l’argent et diriger à leur tour. De la Iglesia pose un regard anarchiste sur le monde, se méfiant avant tout du pouvoir. Le père de la mariée qui a été prise en otage devient ainsi une sorte de dictateur d’opérette prêt à anéantir l’humanité toute entière durant le film. Quant à Ramon, le chef du commando terroriste, il ne rêve que d’une chose, c’est d’être normal et gagner de l’argent. Pour ce faire, il manipule ses camarades handicapés, les rabaissant continuellement en leur faisant entendre que lui seul est indispensable. Néanmoins, le réalisateur n’est pas plus tendre avec les victimes que les bourreaux. Pour le cinéaste espagnol, nous sommes comme la jeune mariée enlevée par le groupuscule d’Action mutante. Nous sommes atteints du syndrome de Stockholm face à ceux qui nous dirigent. Il suffit de voir notre obéissance aux politiques qui sont parfois nos tortionnaires et nous envoient à la mort pendant les guerres. Nous ne pouvons cependant pas nous empêcher d’être fascinés par eux, les servant docilement.

Réaliser un long-métrage de science-fiction comme premier film était un pari osé en Espagne ou même en Europe où ce genre est quasi inexistant. La SF demande en effet un savoir-faire technique pour gérer les effets spéciaux qui n’est pas donné à tout le monde. Avec son budget égal ou légèrement supérieur à celui d’un film d’auteur se déroulant entre les 4 murs d’une chambre à coucher, le résultat est simplement bluffant. Action mutante est un film maîtrisé aussi impressionnant que les premiers essais des cinéastes à la tête des blockbusters américains. De la Iglesia possède une aisance formelle qui a été alimentée par son amour de la BD et son expérience en qualité de directeur artistique pour le cinéma et la télévision. Travellings qui nous révèlent des décors extérieurs à la Blade Runner, scènes en studio très bien photographiées, nous n’avons jamais l’impression d’être devant une production désargentée. Mais c’est surtout dans les séquences d’action que la virtuosité du réalisateur espagnol est palpable. C’est parfaitement découpé, d’une lisibilité extraordinaire et son montage n’a rien à envier aux films d’action d’alors. Dès ce premier opus, le cinéaste montre une grande aisance avec sa caméra, réalisant des films qui coûtent dix fois moins chers que le résultat visuel le laisse supposer à l’écran.  Les longs-métrages suivants du bonhomme viendront confirmer son talent. Il est en effet l’un des rares réalisateurs capables de trouver des cadres originaux en faisant preuve d’un découpage ambitieux dans des espaces étroits et confinés comme dans El Bar ou Crime Farpait tout en magnifiant les grands espaces à la manière de Sergio Leone dans 800 balles.

Le cinéma d'Álex de la Iglesia

Action mutante est une ébauche imparfaite, mais déjà passionnante du cinéma d’Álex de la Iglesia à venir. Ce premier long-métrage confirme que le réalisateur ibérique est bien un auteur au sens où la critique française l’entend, avec un univers et des thématiques communes à toute sa filmographie. Pourquoi ce manque de reconnaissance critique et du public pour ses derniers films qui ne sont visibles que sur Netflix alors que Que Dios Nos Perdone ou Champions , tous deux Espagnols sont diffusés dans les salles obscures ?
Portés par un humour acerbe, ces films sont des peintures désabusées de l’espèce humaine et ne sont pas forcément commerciaux. Le cinéma de De la Iglesia manie l’humour, mais pour évoquer l’enfer de la vie. On a ainsi souvent reproché au cinéaste ibérique de concevoir ces films comme des cartoons qui ne laissent pas aux spectateurs le temps de reprendre son souffle. C’est pourtant cette énergie digne des plus beaux morceaux du punk qui définit sa manière de concevoir des films. Son cinéma fait rire tout en essayant de réveiller la conscience de ses spectateurs. Son humour qui peut mettre mal à l’aise, agit comme une psychanalyse qui nous révélerait nos pensées secrètes, nos petits arrangements avec notre conscience qui se dissimule derrière une moralité de façade surtout dans un pays catholique comme l’Espagne.
Un cinéaste indispensable qui nous divertit tout en proposant un discours critique sur la société pour éveiller les consciences, même si cela déplaît à certains spectateurs habitués à être choyés et mis en valeur par un cinéma commercial devenu inoffensif qui les considère comme des clients qu’il faut gaver d’images.

Mad Will

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