Mardi 3 septembre

C’est avec la tonique équipe du film Night Comes On que s’ouvre la quatrième journée du festival de Deauville. Accompagnées de la réalisatrice Jordana Spiro, Dominique Fishback et Tatum Marilyn Hall, les deux comédiennes principales, semblent très émues sur la scène du C.I.D. Dominique s’est même fendue d’un petit discours en français ; le public semble déjà charmé. Dans Night Comes On, elle interprète Angel, à peine majeure et tout juste sortie de prison pour vol. Elle cherche alors à rétablir le lien avec sa petite sœur Abby, qu’elle n’a pas vu depuis trois ans. Abby vit en famille d’accueil depuis que leur mère est décédée sous les coups de leur père… Une histoire tragique qui inspire à Angel un profond désir de vengeance, tandis qu’Abby, plus naïve, avoue avoir encore des contacts avec leur père assassin. Celui-ci est en liberté, et Angel nourrit le projet secret de l’affronter. Durant le voyage qui mène les deux sœurs au patriarche, les liens familiaux se resserrent. Un très beau film une fois encore sur l’errance et la jeunesse livrée à elle même, qui semble être le fil conducteur du festival.

 

 

Aujourd’hui est une grande journée pour les chasseurs d’autographes qui se font plus nombreux que les jours précédents et pour cause : Joaquin is in town. Le Phoenix est en promo des Frères Sisters, la première production américaine de Jacques Audiard. Le film sera présenté ce soir pour une séance spéciale, hors compétition.

La file est longue devant la tente où se tiendra la conférence de presse, même les journalistes (prioritaires) jouent des coudes pour s’assurer une bonne place. « Il a vraiment fallu insister pour qu’il enlève ses lunettes de soleil » râle un photographe en sortant du photo call. C’est en effet chaussé de lunettes noires que Joaquin (à prononcer « ouakin » et non pas « yoakin » comme je l’ai toujours pensé) Phoenix fait son entrée en conférence de presse, suivi de Thomas Bidegain (scénariste) John C. Reilly et Jacques Audiard. « J’avais envie d’espace, j’avais envie de nature » répond Audiard à la première question concernant sa volonté de tourner dans les grandes plaines américaines après avoir beaucoup exploité les milieux urbains, « et surtout, j’avais envie de tourner avec des acteurs américains ». On y apprend également que l’initiative du film vient du comédien John C. Reilly (qui tient le rôle de Eli Sisters) qui avait beaucoup aimé le livre de Patrick deWitt dont est adapté le scripte. En ce qui concerne les influences de l’écriture de Bidegain, elles ne proviennent pas forcément du western classique tel La Prisonnière du Désert de John Ford (comme le suggère un journaliste) mais plus des films « qui tiennent de l’ordre du conte » comme La Nuit du Chasseur. Enfin, la question fatidique de la parité hommes/femmes ne sera pas évitée après qu’Audiard a déploré à la Mostra de Venise l’absence de femmes dans les festivals ; « Où sont vos personnages féminins ? » demande une journaliste à qui le réalisateur excédé répond « Connaissez-vous ma filmographie ? ». On ne peut en effet reprocher à l’auteur de Sur mes lèvres, De rouille et d’os ou encore Dheepan d’exclure les femmes de ses histoires…

                                   

Fin de la conférence de presse, retour au C.I.D pour découvrir Monsters and Men de Reinaldo Marcus Green, premier film de la compétition à aborder un sujet tristement récurrent de l’histoire américaine : le racisme systématique et les brutalités policières condamnées par le mouvement Black Lives Matter. Un épicier noir non armé est abattu par un policier, la scène est filmée par un ami de la victime. Le film retrace cette épreuve à travers trois portraits de ceux qui l’ont vécue : le jeune caméraman, un collègue noir du policier blanc, et un adolescent lui aussi afro-américain et fils d’agent de police. Le résultat est inégal, mais certains personnages (notamment celui de John David Washigton, policier noir tiraillé entre l’envie de condamner son collègue raciste et la peur de perdre son travail) et situations (le jeune père de famille qui préfère dénoncer les injustices policières quitte à finir en prison) révèlent avec finesse un état de crise.

 

Soirée de gala à Deauville, toute l’équipe des Frères Sisters font leur entrée sur le red carpet. Comme cet après-midi, Joaquin fait la gueule (« vous ne savez pas ce qu’il traverse en ce moment » avance une fan ; non, et toi non plus à vrai dire.) et esquive les selfies et autographes. Sur la scène du C.I.D, Sandrine Kiberlain et Leïla Behkti rendent hommage à celui qui leur a chacun donné un rôle (Un héros très discret et Un prophète) avant la projection.

Les Frères Sisters s’avère assez attendu mais pas déplaisant, un western classique avec chevaux, crasse et grandes plaines pour terrain de jeu.

 

 

Mercredi 4 septembre

Une horde de lycéens pénibles et hilares occupent la moitié de la salle lors de la première projection du jour : Dead Women Walking. Pas de quoi rire pourtant dans ce docu-fiction de Hagar Ben Asher dressant le portrait de neuf femmes dans le couloir de la mort. Le film expose neuf situations dans l’attente de la peine capitale : dernière visite de la famille, dernière séance avec le gourou, dernier trajet en voiture…L’aspect le plus intéressant du film est finalement non pas les futures exécutées mais le personnel pénitencier, qui peine bien souvenir à contenir ses émotions devant le désespoir des détenus et de leur famille.

J’ai repéré les sièges de prédilection des lycéens pour les éviter soigneusement lors de la projection suivante et je fais bien… We the animals de Jeremiah Zagar sera mon grand favori de cette compétition. Peut-être parce qu’il est le premier (avec Nancy) à proposer quelque chose de vraiment différent des autres films vus jusqu’à présent. Peut-être parce qu’il est le plus libre dans sa forme (ellipses, mélange prises de vues réelles et animation), le plus beau dans son image (16 mm oblige) et son propos (l’amour et la violence de trois frères). Peut-être parce qu’il n’est pas figée dans une histoire ordonnée mais raconte, parfois avec une certaine maladresse, les nuits et journées d’un gamin un peu différent de ses ainés et parle si bien des bêtises et des secrets que peut comporter une fratrie. A peine remise de mes émotions, je contacte l’attachée de presse pour rencontrer Jeremiah le lendemain.

 

Ce soir Shailene Woodley, recevra le prix « Nouvel Hollywood » également reçu par Elle Fanning quelques jours plus tôt. Même si j’aime beaucoup Shailene Woodley (magnifique dans White Bird, Big Little Lies et dans, tant pis je l’avoue, The Fault In Our Stars), je prédis qu’A la dérive projeté après la cérémonie ne vaut pas le déplacement… Alors j’écris ces lignes devant le Burger Quiz, où Gilles Lellouche fait équipe avec un berger allemand. Une belle soirée, en somme.

 

Jeudi 5 septembre

Jim Cummings est l’homme à tout faire : réalisateur, acteur et scénariste de Thunder Road. Ce matin sur l’estrade, il manie comme dans son film l’art de passer du rire aux larmes, en faisant le pitre tout en remarquant, ému, que les 1500 spectateurs du centre des congrès de Deauville seront sans doute la plus grosse audience à découvrir son film. Je suis heureuse d’en faire partie car Thunder Road est une très belle surprise. L’histoire d’un flic solitaire et dépressif qui perd sa mère puis la garde de sa fille. Tout commence par un enterrement en plan séquence de dix minutes où Jimmy Arnaud (interprété par Jim Cummings donc) donne toute sa mesure pour ce qui est de faire ce qu’il ne faut pas. La suite, c’est un enchaînement de situations drôles ou tristes et souvent les deux à la fois. La loose est magnifiée, le comédien est parfois à la limite d’en faire trop mais parvient tout juste à se retenir et devenir un personnage sensible et original. (La critique du film est à lire ici ).

 

J’ai le choix entre voir Blindspotting ou interviewer Jeremiah Zagar, et je choisis mon crush de cette édition. C’est un peu flippée que je le rencontre dans le lobby du Royal, même si je suis confiante sur le potentiel sympathie de cet Américain in love de la french culture. Avec mon meilleure accent je lui pose quelques questions (bientôt disponibles en ligne) auquel il semble, sans me vanter, content de répondre.

Je ne m’étendrais pas sur Hot Summer Nights d’Elie Bynum (hors compétition) vu ensuite, qui comporte globalement tout ce que je déteste : une énième histoire de trafic de drogue (même pas vraiment traitée), la blonde dont tout le monde rêve qui va s’amouracher d’un gamin (Timothée Chalamet, ok très convainquant), des soirées trop cools avec des gobelets rouges, et surtout, de la très mauvaise musique. Je suis un peu énervée mais pas dépitée, car Thunder Road et Jeremiah Zagar ont illuminé ma journée.

 

Vendredi 7 septembre

Suite et fin des aventures sur la côte normande. Je me résous à mettre un pied au casino, qui, je crois comme tous les casinos, est aussi fascinant que déprimant. Mon coéquipier manque de justesse de gagner « cinq cent euros cash » et le chagrin se soigne sur la piste de danse de la Villa du festival, où Sandrine Kiberlain et Leila Bekhti, sans doute soulagée d’en avoir fini avec la délibération, donnent tout sur Tu m’oublieras.

Le Grand Prix est accordé à Thunder Road de Jim Cummings, un très bon choix qui récompense un homme talentueux pour un film très réussi. Night comes on décroche avec mérite le prix du Jury, mais ex aequo avec American Animals, une décision pour moi bien mystérieuse. Sans surprise, Puzzle reçoit le prix du public, et c’est ravie que je découvre que We the animals a le droit au prix de la révélation ! Et évidemment, Blindspotting, le seul film de la compétition que j’ai manqué, reçoit le prix de la critique que je ne peux donc pas commenter… Déçue pour Nancy et Diane qui auraient selon moi mérité leur place au palmarès, mais leur présence dans la compétition montre déjà que le Festival de Deauville fait preuve d’audace dans sa programmation. Beaucoup de premiers films, pas tellement de grosses stars (mises à part celles à qui ont rend hommage en soirée de gala pour s’assurer de leur venue) mais la découverte de nouveaux acteurs du cinéma américain indépendant, marqué par l’errance, l’abandon et la famille comme dernière refuge. Merci Deauville, le bon cinéma, même s’il est triste, me rend heureuse.

Suzanne Dureau

Le palmarès complet en suivant ce lien