Quelle était votre intention initiale ?

L’idée était de raconter l’histoire d’une célébrité qui retourne au petit village rural dans lequel il est né, et auquel il n’est jamais revenu en quarante ans. A partir de cette structure nous voulions réfléchir sur la rencontre de deux mondes, celui de l’écrivain cosmopolite et celui du peuple, peu ouvert sur le monde, centré sur lui-même.

L’image que vous donnez de l’Argentine profonde est tout sauf démagogique. Ne craigniez-vous pas les réactions de ceux qui vont recevoir votre film ?

C’est un film très autocritique sur l’idiosyncrasie argentine, et qui offre un point de vue sur le présent de notre pays, chose que le cinéma argentin ne dépeint généralement pas. Cela touche beaucoup le public local et génère de nombreux débats. D’autre part, pour avoir assisté aux projections du film dans des lieux aussi hétéroclites que Rio de Janeiro, Dubaï, New York, Tokyo ou Venise, la réaction de ces différents publics nous confirme que le portrait est bien plus universel, que dans quasiment tous les pays ces personnages et cette histoire pourraient exister.

On peut repérer une structure en crescendo, évoluant de la légèreté de la comédie potache du début vers toujours plus de noirceur. L’aviez-vous pensé de cette façon et pourquoi ?

Notre idée était que le film passe d’aimable, chaleureux et cordial au début à un genre beaucoup plus sec, dur et obscur vers la fin. C’était planifié comme cela dès le début et a à voir directement avec la perception du personnage principal au sujet de ce que va proposer l’histoire.

On peut également repérer un jeu avec les différents genres cinématographiques et leurs parallèles en littérature : le protagoniste qualifie son voyage d’« épique », les habitants de « pittoresques » et la fin a toutes les allures du polar. L’aviez-vous écrit ainsi et pourquoi ?

Oui, divers tons et genres cohabitent dans le film, y compris le documentaire. C’est une fiction dépeinte avec un regard documentaire, réaliste, sans ornements. Le film est structuré en chapitres, comme un roman.

 « La réalité dépasse la fiction », ironise le protagoniste. Vous inspirez-vous de votre propre expérience pour dépeindre les comportements absurdes que les gens peuvent avoir devant une célébrité ?

Ces comportements absurdes nous pouvons les observer dans la vie quotidienne, en lisant le journal ou en regardant la télé : le fanatisme dément envers des sportifs, le nationalisme rétrograde du sport, l’aliénation envers les célébrités.

Le discours de Daniel sur la culture est très fort. Reflète-t-il votre opinion personnelle ?

Le personnage dit que l’art ne doit pas être protégé, rémunéré ou subventionné, que l’art se débrouille très bien tout seul. Il dit aussi que le mot ‘’culture’’ est généralement invoqué par les gens les plus incultes et dangereux. Ce n’est pas exactement notre opinion en tant qu’auteurs, mais celle du personnage. Néanmoins il nous paraît intéressant d’ouvrir le débat sur cette question. Il y a une phrase d’un ami, Alberto Laiseca, génial écrivain décédé cette année, à laquelle nous souscrivons. Il dit ceci : « Rustre et cultivé, deux fois rustre ». Nous l’aimons tellement que nous l’avons mise dans la bouche d’un personnage d’un film précédent qui se nomme Chérie je vais acheter des cigarettes et je reviens.

D’une manière générale, votre film n’est jamais complaisant. Pensez-vous que le rôle du cinéaste / de l’artiste est de servir de poil à gratter pour sa société ?

Dans notre cas oui, parce que nous adhérons en partie à ce que dit le personnage de Citoyen d’honneur en recevant le Prix Nobel, concernant le fait que l’artiste doit secouer, ébranler. Je ne crois pas que tous les artistes doivent partir de cette prémisse, mais nous oui, parce que nous avons toujours un point de vue et des réflexions sur la réalité que nous avons besoin d’exprimer.

Interview réalisée par Florine Le Bris. Merci à Gastón Duprat.