Quand il regarde Face à l’enfer , l’amoureux des pelloches déviantes a le cœur serré. Il assiste en effet aux funérailles du studio Cannon qui l’avait fait vibrer avec des longs-métrages pleins de bruit et de fureur comme Cyborg ou Invasion USA . Réalisé en 1992 mais apparu sur les écrans qu’en 1994, Face à l’enfer (Hellbound en version originale) sera le dernier long-métrage où le logo de la Cannon apparaîtra. À la sortie du film, il semblait loin le temps où les dirigeants de la Cannon Menahem Golan et Yoram Globus se pavanaient à Cannes après avoir signé plusieurs gros succès au box-office avec des piliers du cinéma d’action tels que Charles Bronson tout en signant avec des cinéastes plus prestigieux comme Andreï Konchalovsky.

L’ascension de nos deux cousins devenus producteurs à Hollywood fut fulgurante. Après avoir participé à l’industrialisation du cinéma en Israël, ils vont racheter en 1979 la Cannon qui était un studio américain spécialisé dans les microbudgets. En moins de 6 ans et grâce à l’avènement de la VHS, ils en firent un poids lourd du secteur grâce à leur bonne connaissance du marché mondial où ils réussissaient à vendre plusieurs films dans un même package à des distributeurs étrangers. Le problème survint lorsque les deux comparses voulurent rivaliser avec Spielberg et consorts, en produisant des blockbusters à partir de licences comme Les maitres de l’Univers ou Superman. S’ils excellaient dans les séries B à petits budgets, ils n’avaient pas forcément les moyens et l’expertise pour battre sur leur terrain des studios historiques comme Universal ou la Warner. Sur des faibles budgets, ils pouvaient faire des tours de passe-passe financiers, mais lorsqu’ils voulurent s’attaquer au même genre de films que les gros studios, ils mordirent la poussière.

Quand le projet Hellbound (Face à l’enfer ) est lancé, la Cannon n’est plus qu’un nom gravé sur une quelconque plaque d’un bureau d’Hollywood. Le studio est devenu la propriété de Pathé Communications puis de la MGM. Menahem Golan a quitté le navire alors que son comparse Yoram Globus n’est plus qu’un simple employé aux mains d’un studio dirigé par des banquiers. Ironie du destin, le dernier film du studio Face à l’enfer est, pour des raisons budgétaires, tourné en Israël, terre natale des deux têtes pensantes de la Cannon où ils commencèrent leur carrière dans le cinéma.

Les premières secondes du film font presque illusion. En effet, surgit à l’écran, un Richard Cœur de Lion parti combattre un terrible sorcier en plein moyen âge. On se dit que la Cannon va nous offrir une série B fantastique sympatoche où Chuck Norris va balancer des coups de pied à une armée de suppôts de Satan. Après cet intermède, nos espoirs vont être vite douchés ; au point où l’on se demande si ce n’est pas une autre équipe qui a signé l’ouverture.

Au moment où apparaît à l’écran Chuck Norris , tout espoir de voir un bon film d’exploitation s'est évanoui. On savait que Norris n’était pas un bon acteur. En effet, il ne possède pas le charisme d’un Van Damme ou les talents de comédien de Stallone. Mais dans Face à l’enfer , il n’en fout pas une à l’écran. La distanciation brechtienne est ici à son comble. Aucune émotion ne passe dans son regard durant tout le long-métrage. Il devient ici un simple objet du décor. Et encore ! Les lampadaires au second plan semblent bien plus vivants que lui. Il est tellement monolithique qu’on a l’impression de voir à l’écran les expérimentations sur le montage de Lev Koulechov à l’aube du vingtième siècle. Cet imminent théoricien russe est connu pour avoir démontré que c’était le montage qui créait un lien émotionnel avec le spectateur. Pour ce faire, il projeta à un public un gros plan inexpressif de l’acteur Mosjoukine qu’il juxtaposa successivement avec des bouts de films d'Evgueni Bauer représentant une assiette de soupe, un cercueil et un enfant. En analysant les réactions de spectateurs, il a montré que la juxtaposition entre les différents plans influait les spectateurs qui pensait que Mosjoukine exprimait une fois la tendresse, la tristesse ou la joie. Et bien, Face à l’enfer c’est l’effet Koulechov avec un acteur qui, de façon involontaire, se contente de lancer le même regard bovin à la caméra durant tout le film. 

Alors que l’on s’attendait de la part de la Cannon à des combats à mains nus, à des jeunes femmes en tenues légères et des plans gores, il ne se passe strictement rien à l’écran. À la place, le fan de série B aura le droit à un long-métrage aussi passionnant qu’un épisode de Joséphine Ange Gardien avec un Chuck Norris en mode prêcheur évangéliste accompagné par un sidekick noir forcement gaffeur aux blagues souvent pas drôles. Il faut se rendre à l’évidence, les Norris ont pris le contrôle sur cette production et nous offrent un film familial à l’image de cet insupportable gamin des rues qui aide les héros. Un protagoniste tête à claques qui réussirait à faire passer les héros d' E.T. pour des punks à chien.

Face à l’enfer est au final un banal téléfilm signé par un Aaron Norris dont la grammaire cinématographique se résume au champ contre champ et au plan d’ensemble. Incapable de donner du rythme aux scènes de combats, le cadet de Chuck ne parvient même pas à mettre en valeur les paysages israéliens qu’il filme aussi platement que son Texas natal.

Au final, pas grand-chose à sauver dans ce produit fade et sans relief que le fana d’action ne pourra supporter plus de dix minutes montre en main avant d’éteindre sa télévision. On parle souvent de l’album de trop pour les groupes légendaires. Pour la Cannon, ce film aussi banal et indolore qu’un épisode de Walker, Texas Ranger est un chant du cygne à oublier de la part d’un studio qui aura marqué notre jeunesse avec des titres comme Kickboxer ou Runaway Train .

Face à l’enfer est disponible en VF sur Amazon Prime. Vous pouvez tenter de regarder le film, mais on vous aura prévenus !

Mad Will