Babylon prend place dans l’Angleterre Thatchérienne. C’est l’un des premiers longs-métrages britanniques à mettre en lumière la situation vécue par les jeunes noirs dans la ville de Londres où le racisme était encore très prégnant. À ce titre, je vous renvoie à ma critique sur le documentaire White Rio t (Lien ) ou j’évoquais la montée de l’extrême droite à l’aube des années 80 en Grande-Bretagne. Babylon est une oeuvre forte, un uppercut émotionnel où nous suivons un groupe de jeunes gens coincés dans leur évolution sociale par une société qui ne veut pas d’eux en raison de la couleur de leur peau. Cette oeuvre a fait peur aux Conservateurs alors au pouvoir qui essayèrent de l'interdire. Cependant par le biais de la VHS, Babylon est devenu culte pour beaucoup de jeunes Anglais. Il ne faut cependant pas limiter ce long-métrage à sa seule dimension sociale, car Babylon est aussi un film musical autour du reggae et des sound system. À ce titre, on retrouve dans l’un des rôles principaux Brinsley Forde l’un des fondateurs du groupe de reggae Aswad.

Babylon est l’oeuvre de Franco Rosso . Le projet du film est lié à sa rencontre avec Linton Kwesi Johnson, une figure essentielle de la musique reggae, connue pour être l’une des plus belles plumes caribéennes. Maniant comme personne le créole jamaïcain sur de la musique dub,  ce poète lui a fait découvrir les sound system à Londres. Dans les interviews, Franco Rosso indique aussi que ce projet lui tenait à coeur aussi en raison de ses origines italiennes. Issu de l’immigration, il se souvenait du rejet des jeunes Anglais envers sa communauté qui avait été ostracisée avant que les racistes se trouvent d’autres victimes que les migrants issus du bassin méditerranéen.

Il écrit le film avec Martin Stellman qui avait déjà signé le script du Quadrophenia des Who. Ils conçoivent Babylon  grâce à leur expérience professionnelle au sein de l’Alabany Empire, une « friche culturelle » où avait joué entre autres le collectif Rock Against Racism. Un lieu mythique créé en 1894, devenu au cours des années 70 une place forte de la culture où l’on pouvait voir des pièces de théâtre, des concerts et même des spectacles pour enfants. Ils vont y rencontrer sur place de jeunes gens venant des quartiers difficiles de Londres qui ont installé un sound system. Ils écrivent alors le scénario du film à partir des histoires vécues par leurs interlocuteurs.

Babylon c’est la descente aux enfers de Blue, jeune homme victime du racisme qui finira par le rendre fou, le conduisant à accomplir un geste impardonnable. Pourtant Blue a de l’or dans les mains, mais son patron préfère se débarrasser de son meilleur mécano, que de parler d’égal à égal avec lui.  Babylon dresse ainsi le portrait d’une société anglaise qui refuse d’accepter la venue des enfants de ses anciennes colonies. Durant tout le film, nos jeunes héros noirs sont ainsi victimes de violences physiques et verbales. De plus, l’emploi pour les personnages principaux est quasi inaccessible en raison de leur couleur de peau. Les seuls métiers possibles se limitent donc à des basses oeuvres au service de la classe blanche dominante. Le pire dans tout ça c’est que Blue et ses acolytes sont également le punching-ball des plus défavorisés qui se cherchent un coupable entre deux cannettes de bière alors que le responsable de leur situation porte un tailleur, promeut le libéralisme et s’appelle Margaret Thatcher. Une personnalité pour laquelle je dois bien l’avouer, je porte la même sympathie que Renaud en son temps. Il ne reste donc que la musique et leur flow à nos jeunes héros pour leur permettre pendant quelques instants de se sentir des hommes libres.

La force de Babylon est de ne jamais tomber dans le misérabilisme à la différence de trop de films sociaux français qui maîtrisent mal leur sujet. En effet, même si la vie de nos héros pourrait s’avérer aussi triste qu’un soleil d’hiver au coeur de Londres, le réalisateur parvient à capter quelques instants de bonheur. On pense par exemple à ses rires qui deviennent contagieux pour le spectateur, quand l'un des jeunes récupère un chien doux comme un agneau pour en faire une sorte de garde du corps. Des moments fugaces et particulièrement touchants, captés avec beaucoup de délicatesse par Franco Rosso lors de la scène de fiançailles ou bien dans l’entrepôt où notre groupe de jeunes écoute l’instrumental qu’ils vont utiliser pour leur prochaine représentation.

La mise en scène du film est énergique grâce une caméra mobile qui s’efface devant son sujet, mais s’avère toujours bien placée. La photographie naturaliste, mais néanmoins travaillée du film, est l’oeuvre de Chris Menges connu pour ses images pour le Mission de Roland Joffé et certains longs-métrages de Ken Loach . On notera que les scènes nocturnes sont très bien éclairées sans avoir l’air factices, alors qu’il était extrêmement difficile à l’époque de capter les ambiances nocturnes sur la pellicule. Enfin, Babylon est un grand film sur la culture des sound system et du reggae grâce à une bande-son supervisée par Dennis Bovell où résonne le flow de Brinsley Forde qui égrène avec beaucoup de conviction une critique de la société toujours d’actualité en 2020.

Ce long-métrage sur la discrimination raciale au sein de l’Angleterre thatchérienne était jusqu’à présent inédit en France. Grâce aux Films du Camélia, vous pouvez à présent le voir en salles !

 

Mad Will