Il y a des films qui sont l’incarnation de la puissance de la mise en scène. Des œuvres parfaites qui n’ont pas besoin d’une ornementation inutile, de pirouettes scénaristiques ou d’effets spéciaux hors de prix. La réalisation d’un film, c’est la réunion du savoir-faire de nombreux techniciens au service de la vision d’un réalisateur pour créer la meilleure oeuvre possible. Les grands films sont comme les grandes chansons de l’histoire de la pop musique qui s’appuient sur une mélodie simple qui ne nécessitent pas d’arrangements ou d’un philharmonique pour sonner. Fog du point de vue de son montage, de ses cadrages ou de sa musique peut sembler simple de prime abord. Pourtant ce fut le long-métrage film qui demanda le plus de travail à John Carpenter, nécessitant le tournage de nouvelles scènes et un temps de montage très conséquent. Le résultat est réellement angoissant grâce à une mise en scène d’une rigueur implacable. En effet, Fog n’est pas un seulement un grand film fantastique, c’est aussi un manifeste du classicisme au sens le plus noble du terme. Rigueur des cadres, utilisation du hors-champ, emploi de musiques diégétiques (extraits musicaux venant d’une source sonore visible à l’écran), le film de Carpenter est un cours de cinéma à lui tout seul digne des oeuvres les plus mémorables de l’âge d’or (1940 / 1950) du cinéma américain.

John Carpenter a réalisé Fog après avoir signé un biopic sur la vie d’Elvis Presley pour la télévision américaine qui lui a permis de rencontrer son acteur favori Kurt Russell. Sur Fog, il est à la tête d’un budget modeste d’un million de dollars, cependant largement supérieur aux 325 000 $ d’Halloween. Les sources divergent sur l’origine du projet. Certains évoquent un voyage en Angleterre avec la productrice Debra Hill où il aurait été inspiré par les intempéries, d’autres citent un film anglais, intitulé The Crawling Eye aux USA, qui aurait marqué le réalisateur américain et qui conte l’histoire d’une brume qui dissimule des extraterrestres belliqueux. Enfin, plusieurs critiques expliquent que Carpenter aurait été influencé par un fait divers qui se serait réellement passé aux USA : une ville américaine se serait débarrassé d’un bateau de lépreux près de Santa Barbara en Californie.

Mais que raconte le film ?

Antonio Bay, une petite ville à l’ouest des Etats-Unis. On raconte que, cent ans auparavant, le «Elizabeth Dane» fit naufrage, attiré sur les récifs par les habitants du lieu qui s’emparèrent de sa cargaison d’or, et qu’aucun des passagers ne survécut. Selon la légende, lorsque le brouillard se lève, des fantômes ressurgissent des flots, terrorisant les habitants. Ce jour-là, alors que la population s’apprête à fêter le centenaire de la ville, de curieux incidents se produisent. Quelques habitants reçoivent de mystérieuses visites et sont retrouvés morts. D’inquiétantes créatures rôdent autour des maisons, des coups violents retentissent sur les portes. Tout l’équipage d’un navire ancré dans la baie est retrouvé sans vie. Les assassinats sauvages se multiplient à travers la ville…

Fog est avant tout un hommage aux pères fondateurs de la littérature fantastique que sont Lovecraft et Poe. Ce n’est donc pas un hasard si le film s’ouvre sur une citation de Poe dont l'univers hante tout le film. L’écrivain originaire de Boston a dans la plupart de ses contes évoqué un passé qui vient hanter le présent que ce soit dans Le chat noir ou La chute de la maison Usher. Ainsi Fog, dès son ouverture, évoque le passé à travers l’histoire de la ville que l’on découvrira peu glorieux et qui conduit à la malédiction qui touche ses habitants. Ces temps passés qui hantent les personnages sont personnifiés par le pasteur alcoolique qui cherche le salut alors qu’il n’a pas encore découvert que la richesse de sa paroisse est due à un bateau qui a été coulé consciemment par son aïeul pour récupérer l’or. Dans Fog, même un personnage qui arrive subitement dans la ville comme Jamie Lee Curtis semble fuir un passé douloureux en refusant de répondre aux questions de son amant sur son histoire personnelle. Quant au brouillard, il est une incarnation de l’indivisible Lovecraftien. Carpenter emploie cette manifestation météorologique pour nous faire ressentir la peur en laissant notre imagination créer ses propres monstres comme dans les oeuvres de Lovecraft où l’auteur ne décrivait pas ces créatures, mais usait d’adjectifs liés à la stupéfaction. Enfin, il va citer l’univers lovecrafiten à travers deux lieux du film nommés d’après les livres de l’écrivain : « Arkham Reef et Whateley Point ». Fog en mettant en scène une manifestation météorologique qui cache en son sein une essence maléfique, se joue de notre perception entre le visible et l’invisible, rendant ainsi hommage aux récits fondateurs de Poe et Lovecraft.

Ce qui frappe d’emblée quand on regarde Fog, c’est la maîtrise technique de son réalisateur. Il est à ce titre indispensable de revoir le film en Blu-Ray pour apprécier le génie de John Carpenter. Dans chaque scène d’attaque, il recourt à une suspension du temps absolument fascinante. Je pense que le fait que Carpenter soit aussi musicien lui donne une maîtrise parfaite de la rythmique, nous envoûtant par un tempo lancinant tout en usant à l’instant adéquate des « jump scare » (changement brutal de l’image) comme le compositeur peut parfois user à propos de dissonance dans une mélodie. Quant à la photographie de Dean Cundey, elle participe beaucoup à la réussite du film. Éclairages parfois expressionnistes à la Bava dans cette église où la couleur rouge rappelle le sang versé pour la construire, utilisation d’éclairages nocturnes et du brouillard pour se jouer de nos perceptions, le film use également d’effets de "Lens Flair" (réverbération de la lumière sur l’objectif) pour rendre vivant le brouillard. Dean Cundey signe ici l’une des plus belles photographies de toute sa carrière..

Mais Fog n’est pas qu’un joyau visuel. Ce long-métrage comme la plupart des réalisations de Big John repose beaucoup sur sa bande sonore. La musique de John Carpenter est essentielle pour distiller une ambiance mortifère avec ses ritournelles au synthétiseur et ses instrumentaux presque martiaux qui évoquent la marche des lépreux dans le brouillard.  De plus, le réalisateur américain a une idée de génie en faisant de l’actrice Adrienne Barbeau, une animatrice radio. Petit à petit sa voix devient un élément dramaturgique qui servira ainsi à guider les personnages pour contourner le brouillard.

Ce que j’apprécie au final dans le film, c’est la manière dont John Carpenter laisse planer le mystère à la différence de nos séries TV actuelles avec leurs scénarios construits  à l'aide de logiciels d’écriture. Par d’infimes détails comme le prénom du personnage de Jamie Lee Curtis qui rappelle le bateau échoué ou ce bout de bois retrouvé sur la plage, il donne suffisamment de détails aux spectateurs pour comprendre l’histoire tout en laissant une grande place à l’imagination. On notera également son amour pour des personnages souvent prolétaires ou de la classe moyenne. Pécheur, animateur radio, Carpenter situe ses personnages dans une réalité sociale et met en scène des  adultes et non des adolescents comme dans la plupart des productions horrifiques qui pullulent depuis le succès de son Halloween. Il faut enfin souligner la qualité de directeur d’acteur. Tout le casting est excellent et participe à la réussite du projet.

Fog est un grand film fantastique, une oeuvre cauchemardesque qu’il est indispensable d’avoir vu surtout dans sa superbe édition chez Studiocanal !

Mad Will