Au commencement était l’insulte. Son identité s’étant bâtie sur la honte d’être la fille bâtarde d’une femme vulgaire et alcoolique, Dounia (Oulaya Amamra) a une revanche à prendre pour transformer les crachats en roses, pour passer d’une identité insultée à une identité respectée. Très lucide sur le destin social qui l’attend si elle ne tord pas activement le cou à l’apparente fatalité, elle va mettre toute son énergie à tenter de se construire un futur loin de la misère. Dans cette voie, elle se choisit comme mère spirituelle une dealeuse ultraviriliste, maîtresse dans l’art d’inverser les oppressions. Rébecca (Jisca Kalvanda) a parfaitement compris que la féminité était un construit social servant à maintenir les femmes dans une position de servilité et que les qualités traditionnellement ‘’viriles’’ étaient au contraire comme par hasard toutes celles qui permettaient de survivre dans la jungle urbaine. Elle marque donc un point d’honneur, en tant que femme mais surtout, insiste-t-elle, en tant que pauvre, à s’exprimer sur un ton péremptoire, à désirer le pouvoir et l’argent, à répondre à la violence par la violence. Ce faisant, elle nantit Dounia d’une leçon de sociologie politique qu’elle n’aurait pas trouvé sur les bancs de son BEP Accueil : la seule façon de briser le cercle de la reproduction de la pauvreté est de cesser d’adopter la conscience du dominé. En effet, si l’une des défenses principales des opprimés est le retournement du stigmate par une sur-revendication identitaire (« Black is beautiful », « Gay pride » …), la pauvreté est l’exception qui confirme la règle. Là où la fierté raciale ou sexuelle agit comme une contestation de l’ordre dominant (blanc, masculin, hétérosexuel), la fierté sociale ne fait que consolider l'assignation des individus à leur classe. Dans Bande de filles, sur un scénario similaire, Céline Sciamma ne dépassait pas la bonne intention de changer notre image sur les habitant(e)s des banlieues. Houda Benyamina, enfant du sérail délestée de toute frilosité quant à la légitimité de son discours, se permet, et c’est tant mieux, de taper plus fort, en montrant des jeunes femmes en situation concrète d’empowerment. Loin d’avoir usurpé sa Caméra d’or, la jeune réalisatrice nous en donne également l’image métaphorique, en mêlant le destin de son héroïne à celui d’un danseur (Kevin Mischel), et en lui offrant l’occasion, à la faveur de deux séquences hors du temps, superbement chorégraphiées, de s’envoler. 

F.L.