« Mon objectif, c’est surtout pas clarifier les choses, c’est foutre la merde, j’adore ça ! » Cette affirmation qui ouvre La philo vagabonde en dit à elle seule long sur le personnage qu’elle met en valeur. Franc-tireur, tout en bagout et en impertinence, la langue pleine d’un joli accent languedocien et des expressions les plus fleuries, Alain Guyard a gardé la capacité de questionnement et l’énergie de l’enfance. Professeur de philosophie par vocation, animateur de jardins d’Epicure par provocation, il a d’abord improvisé des séances de remue-méninges pour ses amis avant d’envisager, à mesure qu’il se rodait, d’apporter la philosophie là où elle lui paraissait être une urgence vitale, dans les prisons et les hôpitaux, et de la rendre accessible « même aux humbles sans grade et sans diplôme. Surtout à eux ». La caméra de Yohan Laffort l’accompagne lors de ses pérégrinations, des ‘’philo foraines’’ dans les villages les plus isolés du Gard aux cours très spécialisés à vocation des infirmières en soins palliatifs. La présence et les questions du réalisateur obligent chacun à entamer une démarche réflexive. Ses auditeurs réfléchissent à l’influence de ses discours sur leur vie tandis qu’Alain Guyard lui-même prend conscience, à mesure qu’il se confie, des quelques idées fortes qu’il « mouline obsessionnellement ». Paradoxalement, l’un des leitmotivs de cet homme à la verve d’or est que la force d’âme se mesure à la confrontation physique au réel. Fasciné par les artisans, adepte de la pensée du second souffle des joggeurs, il fait l’éloge des hommes qui réussissent à être pleinement présents à ce qu’ils font, à être « dans la vie » plutôt que « dans la gamberge ». Même s’il adapte le thème de sa palabre en fonction de son public, il exhorte invariablement chacun à cesser de soigner ses apathies pour se demander quelle vie vaut la peine d’être vécue. A sa manière, il participe ainsi à lutter contre la destruction du « monde intérieur » des individus, auquel le capitalisme substitue « une conscience obsédée par la marchandise ». On ne peut que remercier Yohan Laffort de nous faire connaître cet attachant anarchiste en philosophe.

F.L.