Fille d’une écrivaine féministe et d’un théoricien du droit, Mary Wollstonecraft Godwin grandit entourée de livres et abreuvée d’idéaux progressistes. Lorsqu’elle rencontre le poète Percy Shelley qui partage et propage les mêmes idées romantiques, elle tombe amoureuse et s’enfuit avec lui. A la liesse des débuts de leur vie de bohème succèdent bientôt les déboires de la précarité économique et affective, qui nourriront les violents affects contradictoires décrits dans Frankenstein

   Pour réaliser ce biopic retraçant la jeunesse de Mary Shelley et par là même la genèse de son célèbre Prométhée moderne, ses producteurs ont eu la bonne idée de faire appel à Haifaa al-Mansour, qui s’était distinguée il y a quelques années avec son excellent premier film Wadja, en décrivant le combat pour l’égalité que menait une petite fille saoudienne en s’acharnant à faire du vélo dans une société qui réserve cette activité aux hommes. Avec le personnage de Mary Wollstonecraft Godwin, la réalisatrice féministe trouve une nouvelle occasion de filmer les obstacles que doit affronter une femme pour vivre librement et être reconnue l’égale de ses homologues masculins, qui sont aussi les blessures disparates dont l’assemblage forme une créature effrayante, mais riche, à l’instar du monstre de papier que fera naître l’écrivaine.

   Le choix d’Elle Fanning, que la persistance rétinienne nous fera longtemps associer au Neon Demon de Nicolas Winding Refn, est on ne peut plus idoine pour ce récit d’apprentissage qui retrace le chemin de la jeune lettrée londonienne de l’innocence à la corruption. Combinant à merveille l’angélisme du faciès et la maturité de l’esprit, l’actrice possède tous les atouts pour figurer d’abord la jeune vierge possédant une perception naïve de l’homme et de l’amour, puis la jeune femme revenue de ses illusions romantiques et désormais aguerrie d’une vision complexe de l’être humain et des relations humaines.

   Haifaa al-Mansour construit habilement son film en une succession d’épisodes édifiants qui sont comme les différentes feuilles du palimpseste que constituera le manuscrit du Frankenstein sur lequel Mary Wollstonecraft Godwin travaillera pour sublimer la souffrance du deuil, de la trahison, de l’abandon, pour renaître différente, riche de ses blessures cicatrisées. A la fin du film, une succession d’images-clés en flash-back vient ainsi figurer cette composition d’un puzzle cohérent qu’est l’écriture d’une allégorie de la condition humaine à laquelle œuvre la jeune britannique. Mary Shelley tient les promesses du biopic littéraire parce que l’éclairage qu’il donne sur la vie de son auteure donne envie de lire ou relire son œuvre.  

Florine Lebris