En 2018, le nouveau film de Ryūsuke Hamaguchi, Asako I & II, faisait grande impression à Cannes lors de sa projection en sélection officielle. Le réalisateur japonais, notamment connu en France pour Senses, un long-métrage de cinq heures qui dresse un subtil et sublime portrait de la vie quotidienne de quatre femmes à Kobe, s’intéresse une nouvelle fois aux relations intimes et amoureuses, dans un monde contemporain où l’individu est étroitement lié à la société.

Dans une narration en deux actes, Ryūsuke Hamaguchi promène le spectateur dans la banlieue proche d’Osaka avec ses rizières et ses petites maisons individuelles à l’ossature en bois, puis dans les petits recoins de Tokyo peu fréquentés, aux appartements étroits et minimalistes qui fonctionnent comme des espaces intimes où les sentiments se déploient dans un éloquent silence. Le film se divise en deux temps, comme l’indique le titre, et suit les aventures amoureuses de la jeune Asako. Sa vie bascule lorsqu’elle se rend à une exposition de photographies à Osaka, où elle remarque Baku, un jeune garçon ténébreux et mystérieux sous sa mèche brune qui lui cache les yeux. Leur rencontre est filmée comme un coup de foudre : échange de regards, ralenti, le voici qui court vers elle, et les voilà qui tombent dans les bras l’un de l’autre. Il finit par disparaître, du jour au lendemain, sans prévenir, laissant Asako éperdument amoureuse et marquant ainsi la fin du premier acte, quelques mois expédiés en une vingtaine de minutes à peine.

Deux ans plus tard, le spectateur retrouve Asako à Tokyo. Elle est serveuse dans un petit café et rencontre un jeune salaryman, Ryōhei, bien rangé et bien fait, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Baku, et interprété par le même acteur. S’ensuit alors une histoire d’amour, légère et belle, un amour différent du premier, jusqu’à ce que Baku ressurgisse de nulle part.

Ryūsuke Hamaguchi peint avec justesse les relations humaines, d’une manière très intime et intimiste, avec une grande sensibilité. La forme elliptique du film et le découpage très fin permettent de laisser percevoir au mieux les changement et l’évolution des sentiments d’Asako, ainsi que les relations amoureuses et amicales entre les différents personnages. La grande simplicité apparente du film cache en réalité un jeu complexe et fait d’Asako un personnage à la psychologie changeante, double, insaisissable et oscillant entre deux amours où le second apparaît comme une variation du premier.

Le cheminement amoureux d’Asako s’inscrit aussi dans un lieu et un contexte particuliers : celui d’un Japon vieillissant, sujet aux tremblements de terre et qui doit sans cesse se relever après de terribles catastrophes. À plusieurs reprises, Asako et Ryōhei se rendent à Sendai pour faire du bénévolat et aider la population de cette ville du nord-est du Japon qui a été frappée par le séisme et le tsunami de 2011.

Ryūsuke Hamaguchi inscrit son récit dans le présent et veut saisir la vérité de l’instant, alors même que son personnage semble ailleurs, prisonnière de ses sentiments pour Baku et ses souvenirs avec lui qui sont devenus sa seule réalité, comme si elle était endormie. D’ailleurs, le titre japonais, Netemo sametemo (寝ても覚めても), signifie littéralement « Même si je dors, même si je suis éveillée ». Asako est un personnage double, qui oscille sans cesse entre des états qui paraissent hors du temps, en décalage, et des moments où le présent surgit pour la réveiller tout en la rattachant au passé. Avec Ryōhei, Asako semble répéter la même histoire, énigmatique et fascinante.

Asako I & II est un film d’une grande légèreté qui sait cependant porter un regard lucide sur le réel. À la fois réaliste et symbolique, Asako, touchante, doit finalement faire face à elle-même et se confronter au souvenir de son premier amour qu’elle porte en elle comme une marque indélébile.

Camille Villemin