Madame Géquil est professeure de physique dans un lycée professionnel. Peinant à imposer son autorité, ses cours sont un véritable calvaire. Mais après avoir été frappée par la foudre, son attitude change progressivement.

En 2013 Tip Top désarçonnait le public et la critique avec cette enquête déjantée de la police des polices menée par Sandrine Kiberlain et Isabelle Huppert. Le style absurde de Bozon venait dynamiter cette histoire policière et judiciaire en faisant jaillir de l’aberration et de l’incongru à tous les plans fixes. Le cinéaste, passé maître dans l’ambiance décalée qui déroute le spectateur en permanence, avait donc piqué notre curiosité avec ce projet d’adaptation du roman de Stevenson, L'étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, avec Isabelle Huppert en rôle-titre. Un mariage en absurdie entre la comédie et le fantastique qui nous laissait rêveurs. Autant le dire de suite, si Madame Hyde est moins radical que Tip Top il n’en reste pas moins un film déroutant et inattendu.

Notons d’abord que Hyde en personnage féminin n’est pas une nouveauté puisque Roy Ward Baker l’avait déjà utilisé dans le superbe et vénéneux Docteur Jekyll et Sister Hyde (1971). Le film optait pour un changement de sexe et cette transformation du docteur en femme permettait alors à la Hammer de crapahuter sur les terres de l’érotisme. Rien de tout cela ici, plutôt une relecture tout en ambiance d’un classique du fantastique, un genre avec lequel le cinéma de Bozon se marie bien. Déjà parce que son cinéma est indiscutablement visuel (comique de situation) et ensuite parce que sa mise en scène aux mouvements de caméras minimalistes est d’autant plus efficace pour les fulgurances comiques ou surnaturelles. Et s’il y a bien des séquences qui sont frontalement et ostensiblement fantastiques (dont un effet visuel que je ne dévoilerai pas) tout le reste provient de la gestion des cadres et de l’écriture des personnages. Que ce soit un Romain Duris, génial proviseur au look improbable (mèche ostentatoire et costume bariolé) mais qui semble pourtant cacher une part bien plus sombre, José Garcia en loser ahuri désespérément amoureux de sa femme, ou les deux premières de la classe qui deviennent paradoxalement assez terrifiantes grâce à cette idée géniale de les faire parler en même temps, toute la galerie d’acteurs propose un univers propre potentiellement hors norme.

Reste Malick, un élève handicapé, régulièrement dans l’affrontement verbal, et qui finira (peut-être) par s’ouvrir lui aussi à une métamorphose puisque celle de Géquil semble logiquement en appeler d’autres. Mais si le sous-texte de l’éducation en général et de la difficulté d’enseigner en particulier est toujours présent, Bozon esquive tous les clichés que le contexte lycée de banlieue peut charrier. C’est même une des grandes forces du film de s’approprier une matière qui alimente régulièrement un certain cinéma français ronflant, pour en faire tout à fait autre chose et le mixer avec un classique du genre. Même les séquences de démonstrations entre enseignants et élèves, canon du film de prof, semblent novatrices. Cette approche ambitieuse va en plus au bout de sa logique en esquivant happy-end et mièvrerie.

Une adaptation très réussie et justement récompensée à Locarno par le prix d’interprétation pour Isabelle Huppert.

Thomas Kukla