L’avocat français Orllie-Antoine de Tounens part au Chili en 1858 avec l’idée d’établir un royaume en Araucanie, région mapuche indépendante. Il y parvient deux ans plus tard, sans armes ni soutien international. Il est vite appréhendé et emprisonné par le gouvernement chilien, qui cherchait à conquérir la région. Contraint à l’exil, il tente tout le restant de sa vie de rentrer dans son royaume.

   C’est en lisant sa biographie Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie, que le réalisateur chilien Niles Atallah a développé une fascination pour cet homme extraordinaire et l’envie d’en savoir davantage sur son sujet. Sa curiosité piquée, il s’est lancé dans une quête d’archives dont il a découvert à quel point elles étaient fragmentaires et lacunaires. « Rey est né alors que je passais au peigne fin les archives historiques. J’ai imaginé un film qui provoquerait une expérience semblable chez le spectateur : un voyage dans le domaine des rêves oubliés, les souvenirs imparfaits et les frasques d’un fantôme. A la manière d’un souvenir qui s’efface, un roi et un royaume qui n’existent plus qu’en rêve ». Pour mettre à bien ce projet, Niles Atallah décide de créer ses propres archives pour combler les vides de la mémoire officielle. Il imagine alors des scènes dans lesquelles Orllie-Antoine est interprété par l'acteur chilien Rodrigo Lisboa, les tourne en 16mm, enterre la pellicule puis la déterre pour la projeter/scanner à différentes étapes de sa décomposition !

   Le film final, mélange d'archives réelles et imaginaires, nous offre bel et bien un voyage à l'intérieur de la psyché illuminée d'un maniaque qui a su transformer ses rêves en réalité. Bien plus créatif formellement sur un sujet similaire que The lost city of Z, cet OFNI réussit à allier la poésie du verbe de sa voix off à la beauté de ses images, projections époustouflantes des visions mystiques de l'extravagant avocat français.

   « Je n'oublie pas notre rêve », avait coutume de déclarer le roi d'Araucanie à ses sujets. Niles Atallah le fait revivre, sensibilisé par ses recherches à la cause des Indiens mapuches à qui notre fantasque Orllie-Antoine avait donné un royaume indépendant, ce que les gouvernements chilien et argentin ont toujours eu intérêt à étouffer. Baroque à l'extrême tant il est profus de formes variées, son Rey, en plus d'être un bel hommage à ce sympathique utopiste, est un grand film fou que Salvador Dalí n'aurait pas renié.

F.L.