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Je dédie cet article à M. Dick Miller qui vient de nous quitter et qui jouait dans la saga Gremlins. Que les Dieux de la série B veillent sur toi !

Retour dans les années 1990, Joe Dante n’est pas au mieux du point de vue de sa carrière. En effet, depuis la sortie de Gremlins, ses trois derniers films Explorers, L’aventure intérieure et enfin Banlieusards, ont été des échecs au box-office. Si l’homme s’est refusé à la sortie du premier Gremlins de réaliser sa suite, il est contacté par la Warner qui n’arrive pas, malgré des sommes dispendieuses, à écrire un deuxième volet. La production va donc le contacter et lui proposer un deal extrêmement simple : elle lui laisse une totale liberté créative si l’homme revient mettre en scène ses horribles créatures. Dante qui espérait encore rebondir (ce qui n’arrivera jamais dans sa carrière) accepte le job. Exit Columbus au scénario qui est occupé à signer Maman j’ai raté l’avion et qui sera remplacé par Charles S. Haas, un romancier américain qui travaillera également sur le touchant Panic sur Florida Beach pour Dante. Quant aux effets spéciaux, ce n’est plus Chris Wallas mais Rick Baker, le dieu vivant des effets spéciaux connu pour Le loup-garou de Londres, qui est chargé de donner vie au bestiaire du film. Avec un budget bien plus conséquent que sur le premier volet, Dante va proposer une suite jouissive, d’une grande richesse qui reste un exemple d’un sequel réussie.

Ce Gremlins 2, de quoi parle-t-il ?

Six ans après avoir triomphé des abominables Gremlins, ces petits monstres dévastateurs nés de la fourrure mouillée de Gizmo, une adorable peluche vivante, Billy Peltzer et sa fiancée Kate, installés à New York, ont trouvé du travail dans le gigantesque building qui abrite les bureaux du milliardaire Daniel Clamp. Un premier hasard, heureux, permet à Billy de retrouver le tendre et soyeux Gizmo, séquestré par un cruel généticien. Un second hasard, bien malheureux cette fois, expose la fourrure de l'adorable petite créature à une aspersion d'eau qui fait naître des cortèges de Gremlins, affamés et sanguinaires, plus résolus à nuire que jamais...

Gremlins 2 commence de la même façon que le premier opus en nous montrant la boutique chinoise au sein de Chinatown où vit Guizmo, mais l’ambiance a diamétralement changé. Fini l’orient légendaire, les éclairages qui donnaient à voir une image en technicolor, Dante adopte une photo froide et réaliste pour indiquer que le temps est passé. Le film s’ouvre sur un Chinatown en proie à des travaux de modernisation où le béton a petit à petit recouvert chaque parcelle de terrain. Fini les petites villes moyennes américaines, ce second volet sera plus urbain avec notre couple de héros qui a emménagé à New York.

Arrive dans la boutique un émissaire d’un certain Clump, venu racheter le seul magasin qui résiste aux velléités d’urbanisation de son patron, qui est un milliardaire inspiré par deux étoiles montantes du capitalisme des années 90 : Ted Turner et Donald Trump. Le vieux sage du premier volet refusera la proposition, mais passera l’arme à gauche quelques minutes plus tard laissant seul notre pauvre petit Mogwai. Perdu dans New York, il se retrouvera enlevé par un scientifique pour être mené à un laboratoire situé dans la tour où nos deux héros travaillent pour la société de Clump.

Malgré le changement de taille de la ville, l’existence de notre couple de héros ne semble pas avoir beaucoup changé. Billy est toujours déconsidéré par ses supérieurs alors que Kate est passée de serveuse de bar reluquée par les alcooliques du coin à hôtesse faisant visiter la Clump tower où travaille son amoureux. Dante avec malice nous montre que les grandes tours de nos capitales sont des microcosmes fermés où l’ascenseur social et les rapports humains ne fonctionnent pas mieux que dans les petites villes où tout le monde se connaît. Quant au dénommé Clump qui a construit et dirige l’immeuble où se passe l’essentiel de l’action, c’est un idiot obsédé par le seul profit. À travers cette figure de nabab, Dante s’attaque aux deux milliardaires vedettes de l’époque. Il s’inspire ainsi de Trump afin de façonner un personnage de grand patron qui est infantile et paranoïaque et méprise les classes inférieures. Quant à Ted Turner, il dénonce sa main mise sur les médias et son manque de culture.  Cinéphile devant l’éternel, Dante ne pouvait supporter un type qui voulait coloriser les films en noir et blanc afin de les rendre plus modernes pour passer sur ses chaînes. Il va donc glisser quelques dialogues aiguisés qui visent le magnat des communications et créer une fausse publicité diffusée sur les écrans de la tour et qui annonce le film Casablanca dans une version colorisée avec enfin une fin heureuse !

Il était difficile techniquement à l’aube des années 90 de lancer les Gremlins à l’assaut de New York. L’utilisation d’une tour répondait à la nécessité d’un tournage en studio avec autant de créatures dont il faut cacher les câbles. Ce choix est aussi lié à la volonté de Dante de se moquer de nos vies modernes. Surveillance des individus, technologie qui ne fonctionne jamais, mépris des classes sociales, comportement paranoïaque des agents de sécurité qui voient des terroristes partout, le monde contemporain dans le film est une succession d‘open spaces déshumanisés où se déroule une guerre pour le pouvoir où tous les coups sont permis. On se rappellera à ce titre la supérieure de notre héros qui se retrouvera au final suspendue dans une toile d’araignée par un gremlins qui a muté.  Pour le réalisateur américain, le monde du travail est donc littéralement une prison. Dante réalise ici une comédie dans la lignée du magazine satirique américain « Mad » qui fut longtemps le poil à gratter des États-Unis. Il fera ainsi s’évader son milliardaire installé au dernier étage de l’immeuble par les égouts, illustrant son dégoût et mépris des nouveaux gagants de l’Amérique.

Les suites ont toujours été à Hollywood l’occasion de repousser les limites du premier volet afin d’offrir un film toujours plus spectaculaire. Ce second volet des Gremlins remplit ainsi parfaitement son contrat en proposant un panel de créatures plus impressionnantes et plus diversifiées. Afin de laisser libre cours à l’imagination fertile du superviseur des effets spéciaux Rick Backer, Dante et son scénariste ont recours à une astuce d’écriture plutôt maline en installant un laboratoire génétique à la Frankestein dans l’immeuble où se passe l’action. Les gremlins vont bien sûr mettre à sac les lieux, absorbant toutes les éprouvettes disponibles. Nous aurons donc le droit à la naissance de créatures telles que le gremlins électrique, le gremlins légume ou le gremlins super intelligent… Cette diversification des types de créatures est à l’image d’un film énergique porté un humour jubilatoire qui pousse souvent jusqu’à l’extrême toutes les situations. En effet, Dante n’hésitera pas à mettre en scène les avances un tant soit peu violentes d’un gremlins dopé aux hormones sur le chef de la sécurité. Dès l’introduction animée du film réalisé par Chuck Jones, le papa de Bugs Bunny et Daffy Duck, Dante semble nous indiquer que ce deuxième volet adoptera la folie des cartoons. Le réalisateur de Gremlins 2 s’inspire tout simplement du rythme tonitruant des dessins animés où c’est la succession d’actions et non la psychologie des personnages qui font avancer le récit. Si le script du premier film était relativement classique avec une longue exposition, le deuxième abandonne toute psychologie et fonctionne sur le principe du train fantôme. 

De même, se jouant des attentes des spectateurs, Dante va expédier systématiquement les situations emblématiques du premier film comme la nécessité de ne pas mouiller Guizmo. Un coup de clef à molette, une fontaine défaillante, et la pauvre créature se retrouve trempée de la tête aux pieds. Il va également reprendre la célèbre scène de monologue du premier long-métrage où l’héroïne nous contait ses traumas d’enfance sous le regard de Guizmo et du héros, tous deux dévastés. Dans le second volet, elle reprend la même attitude et commence à raconter une anecdote sordide avec l’histoire d’un Lincoln un peu pervers qu’elle aurait rencontré enfant. Mais soudainement, le héros la coupe en lui rappelant qu’ il y a des vies à sauver.  Les créateurs de cette suite dynamitent avec jubilation les situations qu’ils ont créées dans le premier film pour indiquer aux spectateurs qu’ils n’auront pas le droit à un simple copié collé du premier opus.

Le premier Gremlins était une relecture de La vie est belle de Capra. Il citait également des longs-métrages que Joe Dante appréciait par l’intermédiaire d’extraits diffusés sur les postes de télévision dans le film. Dans le second volet, les références intègrent directement la narration avec un Joe Dante qui multiplie les clins d’oeil à d’autres longs-métrages tels que E.T. (avec le gremlins qui dit : "téléphone maison"), Rambo 2 ( notre Mogway vêtu comme Stallone) Batman (le gremlins chauves-souris laisse la célèbre marque sur le mur qu’il a traversé), Le Fantôme de l'Opéra, Le Magicien d'Oz , Alice au pays des merveilles, La Malédiction de la veuve noire, l’Aventure Intérieure, King Kong , SOS Fantômes… De plus, Dante va faire appel à Christopher Lee, connu pour ses rôles au sein de la Hammer, pour jouer une variation moderne du baron Frankenstein et rendre ainsi hommage au fantastique Européen.

Mais ce diable de Gremlins 2 va bien au-delà de la citation. En effet, le réalisateur nous propose par instant des scènes « méta » sur le septième art qui font de cette oeuvre une sorte de Nuit américaine en mode horrifique. Ainsi, il engage pour jouer son propre rôle, un critique américain qui avait descendu le premier film et qui est agressé par nos petites créatures dans ce second volet.  Mais surtout il va proposer une séquence où le film s’arrête comme si la bande avait lâché. Nous voyons alors à l’écran,  une salle de cinéma où le film Gremlins 2 est en train de passer. Il faudra l’intervention du catcheur Hulck Hogan pour que les gremlins relancent le film et que nous suivions à nouveau nos deux jeunes héros. Un pari risqué à une époque où les spectateurs n’étaient pas encore habitués au concept du film dans le film.

Dans ce second volet, c’est son goût pour la comédie qui transparaît. Il s’éloigne ainsi des codes du cinéma d’horreur préférant mettre en scène des séquences complètement folles comme ce ballet final réalisé par les gremlins. Lors de la projection devant ses producteurs, Spielberg était réservé sur le résultat. Très au fait des goûts du public, il avait considéré que l’approche satirique du film limitait l’identification des spectateurs aux personnages par rapport au cinéma d’épouvante où l’on craint pour la vie des protagonistes principaux comme dans le premier volet. Les résultats très moyens au box-office de Gremlins 2 lui donneront malheureusement raison.

Cet échec marquera surtout le début du désintérêt du public pour la nouveauté et la surprise. Ce constat amer est d’autant plus vrai actuellement avec un Walt Disney qui mise sur des franchises où tous les films sont des remakes du précédent volet. Pour ma part, cette suite des Gremlins est avant tout un excellent film qui n’a pas à rougir face au premier volet.

Pour conclure, Gremlins 2 nous permet de retrouver Dick Miller qui vient de nous quitter et qui reprend son rôle de Murray Futterman où il excelle une fois encore en vieux héros des temps passés, vraiment pas fait pour notre monde aseptisé, à l’image de son réalisateur .

Mad Will