A l’époque de la création du Benelux, les deux tiers des douaniers de la frontière belgo-hollando-allemande connaissent leurs dernières heures de service. Une dernière fois, ils tentent d’intercepter les contrebandiers essayant de passer des marchandises d’un pays à l’autre sans leur payer de taxes. Arriveront-ils à prendre la main dans le sac le très habile Pierre (Jean-Pierre Kérien), aimé à la fois côté belge par Siska (Christiane Lénier) qui provoque ainsi son père chef des douanes, et côté allemand par Elsa (Eva-Ingeborg Scholz), ostracisée après la guerre pour avoir couché avec un homme né du mauvais côté du Rhin ?

« Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà », écrit Pascal dans ses Pensées pour satiriser l’arbitraire de la géopolitique. Avec le même esprit irrévérencieux, Henri Storck montre subtilement si ce n’est l’inanité des frontières, du moins leur complète absence de justification ethnique. Dans un bel esprit universaliste, le réalisateur belge rend en effet manifeste, aussi bien dans les trois territoires limitrophes que des deux bords de la légalité, que rien ne distingue un homme d’un autre au-delà de son passeport et de sa fierté nationaliste d’être né quelque part, et que les frontières servent donc uniquement les intérêts des commerçants et des militaires, alliés objectifs du protectionnisme. Le « père du cinéma documentaire belge », pour traiter de cette problématique aux apparences austères, a exceptionnellement préféré la fiction pour rendre accessible son propos à un public le plus large possible. A l’arrivée, Le banquet des fraudeurs réussit la gageure d’être à la fois divertissant, grâce à la qualité des dialogues comportant tirades libertaires à destination des jeunes gens et querelles caustiques entre personnages ennemis, et édifiant, grâce à l’intelligence du scénario de Charles Spaak.

F.L.