Quel plaisir de revenir sur un film de Joe Dante, ce cinéaste iconoclaste qui allait devenir un acteur essentiel du cinéma hollywoodien des années 80. De la génération des Lucas et autre Spielberg, le bonhomme a appris le métier comme tant d’autres au sein des studios de Roger Corman, le nabab de la série B fauchée américaine.

Dante ne reniera jamais la série B qui est la matrice de son cinéma. Son film le plus autobiographique, le merveilleux Panic à Florida Beach est un hommage à William Castle, le réalisateur de La Nuit de tous les mystères. Castle était un cinéaste dans la lignée des origines foraines du 7ème art, un bonimenteur doublé d’un aigu du marketing qui effraya bon nombre de jeunes Américains avec des films le plus souvent fauchés. Ce qui comptait pour lui c’était l’interaction avec la salle de cinéma où il faisait suspendre des squelettes pour faire sursauter le kid américain. Dante est à ce titre emblématique d’une génération qui aimait tant les séries B d’antan qu’elle a réussi à refaçonner l’imaginaire du cinéma américain avec leurs rêves d’enfants.

Dante se fait connaître avec un ersatz des Dents de la mer : Piranhas. Malgré un budget ridicule, il démontre une belle maîtrise technique et un style personnel affirmé. On y tue des enfants (sacrilège à Hollywood) dans un métrage qui mixe cartoon et cinéma d’horreur. Le cinéaste rend hommage au cinéma de son adolescence en choisissant d’anciennes stars telles que Barbara Steele (Le masque du démon) ou encore Kevin MacCarthy (L’invasion des profanateurs de 1956). Dans Piranhas, il propose un discours de gauche qui deviendra sous-jacent dans son œuvre, l’œuvre satirique et ouvertement antimilitariste inspirée du magazine Mad n’est jamais loin.

Il réalise ensuite Hurlements, mais c’est avec Gremlins qu’il va connaître son plus grand succès. Produit par Spielberg, le film fait de son réalisateur un nom bankable à Hollywood. Avec sa petite ville américaine envahie de monstres, le cinéaste signe un divertissement sombre flirtant en permanence avec les frissons et l’humour. Dante réalise ensuite Explorers, échec commercial terrible à la production difficile. Réalisé pour la Paramount, le film est réécrit en cours de tournage, achevé en extrême vitesse et le montage ne sera jamais finalisé pour correspondre au diktat du service marketing qui décida au dernier moment de sortir Explorers avant la date prévue.

Après un tel four commercial, le cinéaste revient sous le giron de Spielberg qui autorise de plus grandes largesses aux réalisateurs dans le cadre de sa maison de production Amblin. Dante veut se relancer et accepte un film de commande : L’aventure Intérieure. Le projet est promis à un beau succès. Il compte dans ses rangs, la vedette comique du moment, Martin Short star du show télévisé Saturday Night Live (Dennis Quaid et Meg Ryan n’étaient pas encore très connus à l’époque). Le scénario définitif est l’œuvre du prometteur Jeffrey Boam, protégé de Spielberg qui écrira le très bon troisième volet d’Indiana Jones.

La volonté de Dante est d’offrir un divertissement familial bourré d’humour et d’action. Les retours des spectateurs sont très positifs, l‘œuvre obtient des avis dithyrambiques aux projections tests. Tout s’annonçait tellement bien que le studio ne fit quasiment pas de publicité pour la sortie. Le résultat : le film fut un échec, un de plus pour Dante.

Mais que raconte le film :

Très porté sur les jolies femmes et l'alcool, le lieutenant Tuck Pendelton a mauvaise presse au sein de l'armée. Afin de se racheter, il se porte volontaire pour une expérience scientifique périlleuse. Il doit être miniaturisé avec un submersible et injecté dans les veines d'un lapin, afin d'en étudier le comportement et la perception du monde. Cependant, une bande d'espions commandée par le redoutable Scrimshaw a dérobé une des puces électroniques indispensables à l'inversion du processus. Suite à un malheureux concours de circonstances, Tuck et son vaisseau sont injectés dans la fesse de Jack Putter, un caissier stressé et hypocondriaque...

L’aventure Intérieure est un film généreux qui offre à ses spectateurs de multiples péripéties sans aucuns temps morts. Sorte de concentré de film d’espionnage et d’action hollywoodien revu à la sauce Tex Avery, le film multiplie les courses poursuites en voitures, les séquences de filature et les clins d’œil à James Bond avec son méchant digne du Spectre. Quant à l’affrontement final dans le corps de Martin Short, il évoque les combats dantesques de machines chers à James Cameron.

Dante est un réalisateur conscient de réaliser un divertissement familial, mais qui ne renonce pas à s’amuser. Il s’inspire du dessin animé des années 50 pour en proposer une version live. Il est en ça bien aidé par le jeu burlesque et très énergique de Short. Le magnifique segment qu’il réalisa pour La quatrième dimension, montrait un enfant qui enfermait sa famille dans une imagerie cartoonesque. Dante est conscient d’être un cinéaste sous influences, mais son travail est avant tout de remédier, moderniser et réinventer ses inspirations.

Lorsque l’on regarde l’Aventure Intérieure, on pense aussi au cultissime Le Voyage fantastique des années 60 qui mettait en scène un équipage américain qui se retrouvait miniaturisé avec son vaisseau et implanté dans le corps d’un scientifique.  Affirmer que L’aventure Intérieure serait un remake de ce film est une bêtise. Car si les influences abondent dans le film, la seule véritable référence du film pour Dante et son scénariste est évidente : le duo comique composé par Jerry Lewis et Dean Martin.

Dennis Quaid et Martin Short dans leur opposition entre le héros viril et bellâtre d’un côté et le froussard et névrosé de l’autre forment un duo comique où les dialogues souvent savoureux se multiplient. Pour autant, Dante ne se limite pas à reprendre la formule du clown blanc et auguste décliné par Lewis et Martin. Grâce à l’argument fantastique qu’est le voyage dans le corps humain, Short et Quaid vont être amenés à fusionner et s’entraider pour survivre. Le duo comique ne fonctionne plus sur un antagonisme mâtiné d’humiliation comme dans les célèbres duos comiques. Le film met plutôt en scène une forme de sublimation psychanalytique où Denis Quaid joue la conscience de Martin Short. Cette affirmation est confirmée par l’attitude de Short qui décide de repartir à l’aventure pour sauver son compagnon à la fin du film. L’humour est à ce titre particulièrement travaillé, car redoublé en nous présentant ce qu’il se passe dans le corps de Martin Short et sa synchronisation pour le monde extérieur. Pour autant, la comédie ne se limite pas à son duo de héros, Dante nous présente une galerie de personnages hauts en couleur proches du dessin animé qui gravitent autour de l’intrigue du film que ce soit le cow-boy ou enfin les deux grands méchants qui se retrouvent réduits à l’état de lilliputiens. Des scènes comiques du film sont devenues cultes. Je pense particulièrement au tueur incarné par Vernon Wells (le méchant moustachu de Commando) qui installe sur son bras mécanique un vibromasseur, sans oublier la scène des toilettes ou notre héros donne l’impression de parler à son service 3 pièces.

Pour autant la trop grande importance donnée aux ressorts comiques est l’un des rares reproches que l’on pourrait adresser à cet excellent divertissement qui propose nombre de séquences hilarantes, mais qui réunies ensembles ont du mal à créer une véritable unité. Les ressorts comiques prenant souvent le pas sur les enjeux dramatiques du récit.

Enfin, comment ne pas évoquer le talent de metteur en scène de Dante, dont la mise en scène dynamique est un modèle du genre. Ancien monteur, il a un savoir-faire technique indéniable bien au-dessus de la moyenne des réalisateurs américains. Son montage pulsionnel, sa réalisation inspirée arrive à rendre prenante pour le spectateur chaque situation dramatique. Dante est un véritable chef d’orchestre au découpage métronomique à l’efficacité redoutable. Son utilisation des effets spéciaux est un modèle du genre, les usant avec parcimonie, il arrive à les rendre inoubliables et spectaculaires.

Un divertissement au sens le plus noble du terme qui témoigne de l’activité d’un studio, Amblin, qui nous proposait par le biais du conte fantastique une illustration intelligente du passage à la vie adulte. L’aventure Intérieure de Dante fonctionne aussi sur ce principe, mais de façon plus métaphorique qu’ E.T. ou encore Le secret de la pyramide. À la fin du film, Martin Short a pris confiance en lui et devient un acteur de sa propre vie, il n’est plus un enfant qui attend tout des autres. Quant au personnage du pilote interprété par Denis Quaid, il accède à la paternité après des années de coucheries et de cuites mal gérées. Dante illustre parfaitement cette idée avec la très belle séquence où le personnage se retrouve dans le corps de Meg Ryan et découvre alors son enfant à venir. Une scène qui démontre une fois de plus que derrière l’humour cartoon, l’émotion est toujours présente dans son œuvre.

Façonnée par les génies des effets spéciaux d’I.M.L., accompagnée par la musique du grand Jerry Goldsmith, L'Aventure intérieure est définitivement un classique des années 80 à voir et revoir.

Mad Will