Nabil Ayouch a connu bien malgré lui une promotion sans précédent suite à l’agression dont a été victime l’actrice principale de son précédent film, Much loved, censuré lors de sa sortie marocaine. Pas effarouché par ceux qui l’attendent au tournant, le réalisateur, natif de Sarcelles mais tombé en amour à 30 ans pour Casablanca, continue dans son nouvel opus à traiter des sujets qui fâchent le plus dans un Maroc qui a du mal à sortir de l’obscurantisme dans lequel des années de politique repressive l’ont plongé.

   « Qu’importe la langue si vous leur ôtez la voix. Qu’importe la foi si vous leur ôtez les rêves », inscrit-il donc dans la poétique exergue de Razzia, où se croisent les destins d’un instituteur de province abandonnant son poste lors de l’arabisation forcée de l’enseignement (Amine Ennaji), d’une femme libre attendant un heureux événement (l’épouse du réalisateur, réellement enceinte, Maryam Touzani), d’un restaurateur juif souffrant de l’antisémitisme ambiant (pénétré Arieh Worthalter), d’une adolescente bourgeoise étudiant dans un lycée français (impressionnante Dounia Binebine) et d’un jeune chanteur idolâtrant Freddie Mercury (Abdelilah Rachid).

   En filmant la période d’arabisation à marche forcée de l’enseignement public marocain au début des années 80, dans les quatre coins d’un pays aux multiples cultures et idiomes afférents, puis en nous plongeant en 2015 à la rencontre de la jeunesse et de la société produites par ce système éducatif, Nabil Ayouch propose de lire le devenir d’un pays où l’on cogne plus qu’on ne poétise au prisme de l’ouverture d’esprit que son école permet. Ce propos, qui concerne à tout moment toute nation, dont la sortie de l’obscurantisme n’est jamais définitivement acquise, devrait malheureusement donner du grain à moudre au spectateur français puisqu’on assiste dans l’Hexagone depuis plusieurs années à la sape des conditions de développement de l’esprit critique au sein du système universitaire (comme le recense avec précision le chercheur Yves Dupont dans son alarmant L’université en miettes).

   Interrogeant à cette aune la place des femmes dans la société marocaine, le cinéaste montre aussi bien celles pour qui porter une robe est déjà un acte de rébellion que celles qui manifestent pour contester une réforme de l’héritage en leur faveur. Il ausculte ainsi les déchirements d’une société dont le gouvernement central a essayé de gommer artificiellement le multiculturalisme millénaire. C’est là qu’intervient la musique de Freddie Mercury, chère au réalisateur qui lui doit une épiphanie adolescente : « Le jour où on comprend comme moi, après avoir porté avec difficulté le fait de n’appartenir à aucun clan, que l’on est pas obligé d’avoir une seule identité mais qu’on peut vivre avec plusieurs, on se sent déjà beaucoup mieux ». Un poignant appel à résister à la haine interculturelle à travers les divers quartiers de Casablanca, dont la richesse réside précisément dans ses mille et une facettes.

F.L.