Grâce au distributeur Tamasa redécouvrez à partir du 15 février 2023 L’intégrale… ou presque de Bertrand Tavernier. Une filmographie riche à voir ou revoir en salle !

Mad Will vous propose ici de revenir sur l’un de ses films cultes : Le Juge et l'Assassin.

Cinéphile passionné et réalisateur passionnant, Bertrand Tavernier aura réussi durant sa carrière à combiner son appétence pour le genre et les grands espaces, chers au cinéma classique américain, avec un discours social et un goût pour les portraits intimes typiques de notre cinématographie hexagonale.

Le Juge et l'Assassin est son troisième film. Dès le générique, le réalisateur nous dévoile sa conception du cinéma. Alors que l’Ardèche est filmée à la manière d’un John Ford, nous notons que le scénario est signé par Jean Aurenche et Pierre Bost qui travaillèrent avec Carné et Claude Autant-Lara mais qui furent rejetés par la Nouvelle Vague. À la différence de beaucoup de ses collègues à l’époque, Tavernier se moque bien des frontières qui existent entre les différentes familles du cinéma français et va jusqu’à engager pour le rôle principal un acteur emblématique de la comédie dite « navrante » : Michel Galabru. Un coup de génie tant l’acteur crève l’écran durant la totalité du long-métrage. À ses côtés, on retrouve Philippe Noiret, l’acteur fétiche de Tavernier, mais aussi Renée Faure, vedette du cinéma des années 40 ,et Jean-Claude Brialy qui a fait ses classes chez Louis Malle ou Claude Chabrol.

Le Juge et l'Assassin est un grand film. Si la mise en scène s’avère parfois un peu trop classique quand l’action se déroule entre 4 murs, Tavernier et son chef opérateur Pierre-William Glenn

s’avèrent particulièrement à l’aise quand il s’agit de tourner en extérieurs. On se rappellera longtemps d’un Michel Galabru incarnant Bouvier, un personnnage errant dans les majestueux paysages naturels de l’Ardèche. Il est ici l’homme sans nom des westerns. Rejeté par la société, c’est un marginal crevant de faim qui aurait dû passer sa vie dans les institutions psychiatriques, mais qui s’est retrouvé à hanter les campagnes, prêt à se jeter sur sa prochaine proie.

Galabru est inquiétant à souhait, mais jamais caricatural, son attitude changeante et ambiguë est au centre même du propos d’un film qui commence comme un thriller et qui petit à petit devient un pamphlet politique et un réquisitoire contre la peine de mort. Comme le souligne Jean-Claude Brialy, ici dans l’un de ses meilleurs rôles, Galabru n’a aucune chance d’être reconnu malade psychique ou d’être défendu, il ira à l’échafaud, car il est pauvre !

Tavernier radiographie ici la société de l’époque. Il n’est pas vraiment tendre avec la bourgeoisie qui laisse crever le petit peuple à l’image du juge joué par Noiret. Un manipulateur qui après avoir trouvé l’assassin, se révèlera surtout intéressé par la renommée qu’il pourra acquérir. Antisémitisme, mépris des vagabonds, manipulation des foules, le portrait de cette France est sans appel : la république est au service des seuls nantis qui ne souhaitent rien partager. Un aspect qui fut dénoncé par certains « droitards » de l’époque qui considéraient que le cinéaste aimait d’avantage les assassins tueurs d’enfants que les possédants. C’est faux. Ce qui l’intéresse ici, c’est de montrer comment la société est capable de créer des tueurs comme Bouvier puis de les éliminer sans jamais se remettre en cause.

Ma seule réserve sur le film est liée au fait que Tavernier, à ses débuts, ne faisait pas encore totalement confiance au langage cinématographique.  Pour ma part, pas besoin d’un dialogue surexplicatif ou d’un carton final qui vient me surligner maladroitement le propos politique du film. Surtout quand le cinéaste nous donne à voir précédemment des séquences où la mise en scène dit tout sur la société de l’époque sans avoir à recourir à un long discours. Je pense en particulier à ce moment dans l’hôpital où surgit un cafard sur le corps meurtri de la gamine abandonnée par le juge. Un uppercut émotionnel qui démontre la puissance de l’image au cinéma.

Le Juge et l'Assassin est définitivement un grand film à voir et à revoir.

Mad Will