Œuvre référence des années 80, Jack Burton a bercé mon enfance. Son réalisateur John Carpenter fut ainsi le premier cinéaste dont j’ai retenu le nom, après l’avoir lu sur le Télé 7 jours familial. Diffusé sur Antenne 2, en deuxième partie de soirée à l’aube des années 90, je fus totalement envoûté par le film. Un concentré de plaisir inégalé pour moi.

C’était donc avec une certaine impatience, mais aussi une angoisse non feinte, que je m’apprêtais à redécouvrir le film au Max Linder. Ce fut une heure et quarante minutes de joie intense admirablement servie par l’écran cette salle mythique parisienne

Jack Burton, bien aidé par une copie restaurée de toute beauté s’avère avoir admirablement bien vieilli et prouve une fois de plus que le cinéma de John Carpenter est éternel face à l’épreuve du temps. Le Howard Hawks du cinéma fantastique possède une qualité assez unique : celle d’exceller dans plusieurs genres avec une grâce infinie. Et si l’on cite souvent ses réalisations horrifiques, ses comédies fantastiques sont aussi des réussites, à l’image de ce Jack Burton, ou de ses Aventures d'un homme invisible sans parler de son mélodrame Starman, sorte d’E.T des grands espaces absolument bouleversant.

Plongeons dans les années 80 et découvrons à présent un Chinatown où la magie noire chinoise règne en maitre.

Que raconte le film :

Jack Burton, un aventurier américain, accompagne son ami Wang Chi à l'aéroport de San Francisco. A peine Wang a-t-il aperçu sa fiancée, à sa descente d'avion, que celle-ci est enlevée par les Seigneurs de la Mort, un dangereux gang de punks, triste émanation du quartier chinois. Avec l'aide d'une belle avocate, Jack et Wang pénètrent dans Chinatown. Ils se retrouvent bientôt mêlés à une guerre des gangs impitoyable et ne sauvent leur vie que d'extrême justesse. Durant sa fuite, Jack est victime d'une curieuse hallucination. Un étrange personnage, surgi de nulle part, lui barre la route. Il s'agirait d'un magicien millénaire, terriblement dangereux...

Jack Burton dans les griffes du Mandarin est un objet hybride qui mélange le film d’action, la comédie avec le cinéma de Tsui Hark. Ce réalisateur hongkongais venait de révolutionner le cinéma de fantaisie asiatique avec Zu, les guerriers de la montagne magique qui proposait des combats d’arts martiaux où les combattants volent littéralement grâce à un savant système de câblage. Conscient du potentiel du cinéma de Tsui Hark, Carpenter propose alors avec Jack Burton le premier film Hollywoodien directement influencé par le cinéma HK, presque 7 ans avant l’arrivée de John Woo sur le nouveau continent.

La nature polymorphe de Jack Burton dans les griffes du Mandarin était déjà présente dans le premier développement du film qui plaçait son action au 19ème , en plein far West. Au terme de plusieurs récritures l’action du film est déplacée à l’époque contemporaine.

Ce choix a-t-il été dicté par les studios pour attirer un public plus large alors que le genre western était moribond ? Pas sûr… John Carpenter s’est toujours inspiré des westerns classiques tels que Rio Bravo mais en les contextualisant dans un univers contemporain. La volonté de placer l’action dans les années 80 s’inscrit alors parfaitement dans sa filmographie en grande partie guidée par le souhait de remédier au western classique américain et non de le reproduire.

A noter que le scénario du film est principalement l’œuvre de W.D. Richter bien connu par les amateurs d’étrangeté pour le frappadingue Les aventures de Buckaroo Banzaï à travers la 8ème dimension !

L’art de la mise en scène

Ce qui frappe tout d’abord dans Jack Burton c’est l’extrême précision de la mise en scène de John Carpenter. Le réalisateur fait preuve d’un sens du découpage digne des grands maîtres du cinéma classique comme dans la séquence de l’aéroport placée au début du film. Par un habile montage qui s’appuient sur un découpage cut très rapide où s’enchaine les regards entre les acteurs, il nous introduit en quelques secondes ses différents protagonistes et les relations qui se tisseront entre eux.

De la même manière, comment ne pas évoquer la première séquence d’action du film avec ce camion qui s’introduit dans les bas-fonds de Chinatown telle une diligence pénétrant dans les territoires inconnus de l’ouest. Là encore, le montage est d’une précision quasi clinique surtout dans les combats qui se multiplient autour du camion au cours de la séquence. Carpenter fait alors preuve d’une rigueur remarquable pour un réalisateur occidental peu habitué à filmer ce type de chorégraphie.

Carpenter agit comme un artisan au sens le plus noble du terme, soignant chaque cadre, proposant un espace filmographie toujours clair et précis. Chaque plan est pensé et cadré avec soin. Durant la première évasion totalement rocambolesque de Burton du repère de Lo Pen, le cinéaste se révèle un maitre des petits environnements. Fan des films de siège comme Zoulou, il propose une spatialisation jamais redondante en termes d’échelles de plans. Je peux vous assurer que sur l’écran du Max Linder, le film n’a rien à envier à beaucoup de métrages actuels de super-héros où la plupart des affrontements sont illisibles et relativement hideux. Pour conclure, Carpenter s’est tout autant investi sur ce film de studio au budget conséquent que sur ses réalisations plus personnelles.

Kurt Russel : l’anti héros américain

Kurt Russel et Carpenter dynamitaient l’État et ses institutions dans New York 1997. Témoignant de son époque (le scénario a été écrit après le Watergate), le film était une charge violente contre la fin des contestations par l’intermédiaire de son héros Snake Plissken, figure nihiliste d’une Amérique qui avait perdu ses repères.

Le bide commercial de The Thing summum de tension et de noirceur face à E.T. sorti la même semaine conduit Carpenter à s’atteler à des projets plus commerciaux en adéquation avec des années 80 plutôt bling-bling. Avec Jack Burton, il s’emploie à utiliser la figure du héros américain popularisé par Stallone avec Rambo 2 et Rocky 4.

Mais attention aux apparences !

Jack Burton est un mec sympa, mais n’est sûrement pas le héros tout puissant reaganien qui régnait alors sur les écrans. Carpenter dit de son héros qu’il est un « sidekick » (second couteau) qui pense être un « leader ». Ce ressort comique décalé fonctionne admirablement bien et apporte beaucoup au film.

Gaffeur, beauf, Burton laisse son ami Wang se battre et ne sert définitivement pas à grand-chose quand il se fait assommer ou bien encore immobiliser par un garde lors de l’affrontement final où sa présence n’est même pas nécessaire. Porté par un Kurt Russell rigolard, qui enchaîne les citations cultes, le personnage est une parodie des héros bodybuildés.

Le vrai héros du film c’est Wang son acolyte asiatique. Les USA de Carpenter ne sont pas celles des banlieues blanches chères à Spielberg, Jake n’est pas Indiana Jones, il n’est pas parfait, sa drague ne marche pas toujours, il est souvent ridicule comme lorsqu’il se promène dans une scène hilarante avec du rouge à lèvres. Pour autant, Carpenter aime bien Jake, et le garçon reste sympathique et plutôt touchant dans sa volonté de se battre au côté de son ami Wang.

Le cinéma de Carpenter est sincère, jamais moqueur, et n’adopte pas cette fausse ironie 2.0., ce vernis cool et insupportable du cinéma actuel et c’est pourquoi je l’aime autant ! Même si le film est une comédie fantastique qui emploie des stéréotypes comme la journaliste espiègle, le camionneur à gros bras ou le vieux sorcier chinois, chaque personnage est développé et humanisé par un cinéaste qui ne se moque jamais de ses héros en les regardant de haut tout en lançant un clin d’œil complice au spectateur.

Il faut aussi souligner que Carpenter fait preuve d’un vrai respect pour la culture d’extrême orient en montrant à l’écran des personnages asiatiques qui jouent les premiers rôles. Quand on voit la polémique sur le remake américain de Ghost in the Shell qui n’a pas voulu employer d’actrice asiatique pour son rôle principal de peur d’échouer au box-office, on se rend compte de la modernité de ce Jack Burton !

Pour le plaisir

Le film de Carpenter est introduit par Egg Shen, vieux sorcier chinois qui nous parle de magie durant un interrogatoire où il est questionné sur Jack Burton. Accepter l’extraordinaire, on ne pouvait trouver plus belle introduction à un film aussi magique qui mélange avec délice le cinéma d’action, la comédie, le fantastique et le kung-fu. Le long métrage dans sa construction dramatique est inspiré des serials d’Hollywood des années 40 et 50. Ces ancêtres de nos séries étaient diffusés de façon hebdomadaire en salles et proposaient aux spectateurs des épisodes qui les laissaient en suspens, abandonnant le héros aux portes de la mort. Ces épisodes réunis ensemble formaient un film qui bouclait une histoire. D’autres histoires étaient alors produits pour construire une nouvelle aventure.

Le film est à cette image : haletant. Jack Burton est une gigantesque course poursuite où l’on ne reprend jamais son souffle. Film d’action dans le sens le plus pur du terme, le cinéaste et son équipe nous offrent un spectacle généreux avec ses éclairs, ses décors soignés, sa galerie de monstre et ses multiples rebondissements. Tout est possible comme dans ces spectacles de prestidigitations rappelant les origines foraines du cinéma, des monstres géants peuplent ainsi les égouts aidant un fantôme vieux de deux millénaires venu hanter Chinatown.

Et pourtant le film n’est jamais indigeste tant Carpenter sait doser ses effets, et se concentrer sur son récit ne perdant jamais de vue sa trame. Son univers est riche, mais il est organisé par un scénario solide qui prend la forme d’une quête pour sauver la jeune fille en détresse. Cette rigueur lui permet de rendre le film intelligible tout en développant un univers mythologique qui aurait mérité plusieurs suites. En plongeant progressivement son personnage dans Chinatown, en commençant par ses rues puis ses souterrains creusés sous la ville qui mène au repaire de Lo Pen, le cinéaste nous immerge au fur et à mesure dans un monde où tous les excès en termes de magie deviennent possibles. Grâce à ses décors embrumés mixant la tradition asiatique et les néons des années 80, le film devient presque intemporel, aidé par des effets spéciaux qui ont plutôt bien vieillis. Bien sûr, quelques SFX marquent leur époque, mais je peux vous dire que l’arrivée des méchants accompagnés de leurs éclairs reste très classe en 2017 sur l’écran géant du Linder.

Doté d’une énergie folle, le film est admirablement servi par des dialogues souvent hilarants, Carpenter dynamite le film d’action avec son héros bellâtre incapable de mener une quête ou une love story et signe tout simplement l’un des fleurons des années 80. Un grand merci à Splendor qui après nous avoir permis de redécouvrir Miracle Mile, nous propose de revoir en salle un autre bijou des années 80 qui avait connu la défaveur des salles avant d’être un triomphe en VHS !

En bonus, l’habituelle chanson qui clôturait les blockbusters est interprétée par… John Carpenter lui-même avec ses potes. Preuve une fois encore que John ne se soumettait pas aux diktats des studios, mais se jouait de leurs attentes insufflant sa personnalité hors norme sur ses réalisations

Jack Burton… Un chef-d’œuvre à redécouvrir en salles le 31 janvier 2018 avec Splendor Films !

Mad Will