Un homme (Géza Morcsányi) et une femme (Alexandra Borbély), handicapés chacun à leur façon, aussi farouches que des animaux sauvages, se croisent tous les jours sans arriver à créer de lien. Pourtant, leurs âmes communiquent la nuit, dans le monde du rêve. Lorsqu’ils s’en aperçoivent fortuitement, ils essaient de se rapprocher dans la vie réelle. Mais il n’est pas aisé de s’ouvrir à l’autre lorsque l’on s’en est protégé pendant des années…

Ildikó Enyedi part d’une hypothèse très romanesque et la met en scène avec virtuosité. Si elle situe le lieu de travail commun de ses personnages dans un abattoir, c’est paradoxalement pour mieux questionner le devenir de l’humanité dans une société violente qui force l’homme à se protéger en retranchant son âme derrière une carapace d’insensibilité. En lançant ses flèches dans le cœur de deux êtres humains emmurés, la réalisatrice raconte comment la rencontre amoureuse crée une brèche dans leur forteresse et provoque le réveil de leur sensibilité.

Corps et âme se démarque par la richesse de ses univers visuels et auditifs. La réalisatrice ose en effet des cadrages atypiques, compose soigneusement ses images en jouant de l’ombre et de la lumière et crée des jeux d’écho sonores stimulants. Cette sensorialité exacerbée enveloppe le film d’une bulle d’onirisme qui est une soupape de décompression humoristique contre la cruauté du réel. Même si certaines scènes assez mièvres empêchent d’adhérer entièrement au film de la réalisatrice hongroise récompensé de l’Ours d’or à Berlin, l’inventivité des images et de la bande sonore le rend indéniablement happant. Un objet cinématographique qui assume joliment sa singularité, par son esthétique brillante mais décalée.

Florine Lebris