Takeshi Kitano est un réalisateur et un acteur fascinant. À la fois drôle et implacable, violent mais sensible, l'amuseur public de la télévision nippone est devenu au cours des années 90 un des très grands réalisateurs de la planète. Chacun de ses films de cette période était un voyage hors du temps qui nous donnait la sensation d'entrer dans un monde différent, en dehors de nos codes de compréhension. Kitano est ce type de réalisateur que l'on aime ou que l'on déteste en fonction de notre capacité à apprécier le chamboulement que ses films créent en nous. C'est que son cinéma est tout en contraste grâce à un savant mélange de grotesque loufoque, de beauté contemplative et de moments de violence brute. Une violence jamais gratuite, jamais dans l'esbroufe mais qui marque le spectateur par son impact et qui vient renforcer en contraste la beauté du calme avant la tempête. C'est là tout l'art de Kitano, savoir manier un cinéma d'une extrême poésie en plein coeur de films de gangsters.

De tous ses films, Hana-Bi est certainement le plus grand chef d'oeuvre du réalisateur japonais. Pour son septième long métrage, Kitano se plonge dans la peau d'un policier qui,  dévasté par la violence absurde de son métier, décide de rendre sa plaque et de se faire criminel pour pouvoir choyer ses proches. L'histoire d'un taiseux, plutôt un sale type, qui range son honneur de policier et sacrifie sa carrière pour partir en voyage avec sa femme atteinte de cancer. Poignant, drôle, poétique, les qualificatifs élogieux ne manquent pas. Le film est la quintessence d'un cinéma qui suspend l'éternité.

Comme souvent chez Kitano, l'action est présente, mais elle ne sert que de toile de fond pour poser le décor. Ici, la vraie violence est intérieure. Le film est dur, mais surtout humainement. Il est particulièrement dur dans les silences échangés, dans les non-dits sensibles et dans le tragique du destin que l'on voit poindre à l'horizon sous forme de conte cruel amoureux. Le duo entre Takeshi Kitano et la Kayoko Kishimoto fonctionne tellement bien que l'acteur-réalisateur demandera à l'actrice de tourner dans quatre autre films (L'été de Kikujiro, Dolls, Takeshis' et Glory to the film-maker).

Celui qui a grandi non loin de mafieux, le Patrick Sébastien local qui a fait carrière dans l'humour grotesque à la télévision, touche enfin la reconnaissance internationale en remportant le Lion d'Or de la Mostra en 1997. Avant ce prix, et pourtant dans les radars des cinéphiles européens depuis plusieurs années déjà, Kitano n'était pas pris au sérieux par le public japonais. Au-delà du succès critique, Hana-bi est peut-être aussi un des films les plus personnels du réalisateur puisqu'il y montre des peintures réalisées par ses soins après un grave accident de moto en 1994. De cette tentative de suicide inconscient, comme il l'aime parfois à l'appeler, Kitano en gardera des stigmates et tics d'expressions. Inédit dans son cinéma, c'est aussi dans Hana-bi qu'il choisit de faire jouer sa fille encore enfant dans une scène de fin très poignante.

Je pourrais continuer à encenser le film longtemps, tant son scénario, son jeu, sa photographie et sa réalisation me plaisent, parce qu’il s’agit tout simplement de mon film préféré mais je souhaite plutôt utiliser quelques lignes pour vous parler de la musique de Joe Hisaishi. Le célèbre compositeur a encore frappé et je trouve injuste que l'on parle toujours de son travail pour les films d'animations d'Hayao Miyazaki mais jamais de ses collaborations nombreuses (7 films !) avec Kitano. Parce que si les œuvres de celui-ci dégagent une telle sensibilité, Joe Hisaishi y est pour beaucoup. Sans lui, le visage figé de Takeshi ne dégagerait pas tant d'émotions.
Longtemps resté disponible dans une image de qualité moyenne, le film est ressorti en 2018 par La Rabbia dans une superbe édition Blu-Ray - DVD déjà difficile à trouver. Heureusement, le film est disponible sur Universciné.com

https://www.universcine.com/films/hana-bi

Gwenaël Germain